Posted by Voyer on April 09, 2000 at 10:20:40 AM EDT:
Debord est un homme que je corrige toujours § 54 " Le spectacle, comme la société moderne, est à la fois est à la foi uni et divisé. Comme elle, il édifie son unité sur le déchirement. " Le spectacle est " comme la société moderne ", " comme elle, il édifie… ", donc le spectacle n’est pas la société moderne, ce qui rentre en contradiction avec le § 3: " Le spectacle se présente à la fois comme la société même…." § 57 " La société porteuse du spectacle … " Même contradiction. Si la société est porteuse du spectacle, c’est donc que le spectacle n’est pas " la société même ". § 11 " …on passe sur le terrain méthodologique de cette société qui s’exprime dans le spectacle. " En contradiction avec le § 3. Si cette société s’exprime dans le spectacle, elle n’est donc pas le spectacle lui-même et réciproquement le spectacle n’est pas la société même. § 7 " La pratique sociale, devant laquelle se pose le spectacle autonome, est aussi la totalité qui contient le spectacle. " Encore en contradiction avec le § 3: si la totalité de la pratique sociale contient le spectacle, comment le spectacle pourrait-il être la société même? § 65 " Le spectaculaire diffus accompagne l’abondance des marchandises … " Accompagne, donc il n’est pas l’abondance des marchandises. Le spectacle en est seulement " un catalogue apologétique ", c’est à dire en langage ordinaire, la pub. § 70 " L’imposture de la satisfaction doit se dénoncer elle-même en se remplaçant… " Voilà une définition possible du spectacle: le spectacle est l’imposture de la satisfaction. La question se pose immédiatement : où a lieu cette imposture, où a lieu ce spectacle ? Certainement pas directement dans le monde ou dans la société. Certainement pas dans le métro bondé le matin, certainement pas dans le grouillement infâme des employés de bureau dans les rues ou entre les tours, certainement pas sur les autoroutes embouteillées, certainement sur les boulevards où les esclaves désœuvrés raclent leurs semelles. Certes tout cela est un triste spectacle ; mais ce n’est ce que voulait dire Debord. Cependant on voit passer dans le monde des agents imposteurs de la satisfaction, notamment les patineurs à roulettes ou des pédés revendicatifs dont Houellebecq dit qu’ils ont l’air d’avoir une vie passionnante. La Propagandastaffel trouve toujours facilement des agents bénévoles, des agents qui par des actes concrets de soumission ostentatoire entendent démontrer la satisfaction que procure la soumission avec cependant une fière touche de révolte attitude. Tout est dans la révolte attitude et il s’agit bien d’un spectacle. Mais tout ça n’est pas la société même ou le monde même. La LVF n'était pas le monde même. M. Le Pen dirait que c’est un détail. § 70 Dans ce même paragraphe 70 : " Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l’aveu de son mensonge précédent…. " Donc, c’est bien ce que je disais: l’imposture de la satisfaction, c’est le mensonge de la publicité. L’imposture de la satisfaction réside dans le publicité. Debord identifie lui-même dans un même paragraphe imposture de la satisfaction et publicité. Donc le spectacle c’est la publicité. Voilà tout le concept de spectacle. Debord a remplacé un mot simple que tout le monde comprend: la publicité par un mot au sens mystérieux: le spectacle. Ce concept aurait un intérêt si Debord avait été capable de soutenir et de développer la première proposition du § 3: " Les spectacle se présente comme la société même… " car la société serait alors un spectacle de la satisfaction. Et on pourrait à juste titre alors parler de société du spectacle ou de société spectaculaire-marchande. En fait, cette société spectaculaire-marchande est seulement un société où existe la publicité, la réclame, où la propagande est privatisée et l’imposture de la satisfaction n’existe que dans la publicité, la réclame et la propagande, imposture soutenue pas ses nombreux agents bénévoles.. J’ai de bonne heure essayé de donner un sens à cette première proposition " Le spectacle est la société même.. "; mais je n’y suis pas parvenu. Et je ne connais personne qui y soit parvenu. Je pensais alors que Debord, ce grand incompris, était fondé de protester quand on interprétait ce prétendu concept de spectacle au sens de mass media, publicité, télévision. Mais Debord a été parfaitement bien compris par ceux auxquels il s’adressait en fait, et de manière de plus en plus insistante et de plus en plus explicite à la fin. § 1 Ce n’est donc pas toute la vie des sociétés … qui s’annonce comme une immense accumulation de spectacle; mais seulement la publicité, la propagande. Quelle découverte! " Tout la propagande des sociétés modernes s’annonce comme une immense accumulation de spectacles et de divertissements. " C’est la fun propagande. Voilà la vraie proposition. Toute la propagande et certainement pas toute la vie; même si la propagande entend s'identifier avec toute la vie. La proposition: " Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation " est fausse également. La fun propagande et la publicité commerciale prétendent traiter effectivement de tout ce qui est vécu et de tout ce qui pourrait être vécu. Mais ce n’est pas parce que la fun propagande prétend que " tout ce qui est bon apparaît, tout ce qui apparaît est bon " que tout apparaît et notamment tout ce qui est bon. Donc, puisque tout n’apparaît pas, toute la vie non plus et donc toute la vie ne saurait s’éloigner dans une représentation. § 2 " Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun… " C’est bien vrai, ce cours commun est la publicité commerciale et la propagande divertissante. Seulement le mot " chaque " est de trop. Les images de la propagande se sont détachées de certains aspect de la vie mais pas de tous. Sinon, la propagande serait la vérité. Ainsi la misère, bien qu’endémique, demeure secrète et ne paraît jamais. Et quand elle paraît, c’est une misère spectaculaire, tout spécialement élaborée pour la télévision. Quant au " spectacle en général ", qui est censé être la société même, qui est censé être " l’inversion concrète de la vie ", il n’existe pas. L’inversion concrète de la vie porte un nom depuis Hegel: c’est l’aliénation qui n’a rien à voir avec un spectacle même si l’apparence y joue un rôle essentiel. Quoique la nature selon Hegel n’est tien d’autre que l’idée qui se donne en spectacle à elle-même, ne serait-ce que pour se connaître. En ce sens, selon Hegel, l’aliénation serait essentiellement un spectacle, le spectacle de la nature. Mais cela va bien au delà des trivialités de Debord maquillées en style fronde et grand siècle. § 12 Ce n’est pas le spectacle qui se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible, c’est le monde. Le spectacle est peut-être indiscutable; mais il suffit de tourner le bouton du poste pour qu’il s’arrête tandis que le monde continue, lui. Et cette positivité est indiscutable parce que les moyens de discussion ont été confisqués. Debord a joué un rôle misérable dans cette confiscation. Les moyens de discussion sont bien connus. Les Grecs ont montré qu’il n’y a de démocratie qu’en armes, que la démocratie c’est la guerre, que l’on peut discuter et agir puisqu’ils délibéraient toujours avant de combattre. Montesquieu ajoute que là où l’on voit une démocratie tranquille, ce n’est pas la démocratie. Ce n’est pas le spectacle (pas même au sens de pub) qui a le monopole de l’apparence, c’est l’argent. L'argent paraît dans tout ce qui existe sous le nom modeste de prix. Le spectacle, la propagande divertissante, est un tout petit territoire de l’apparence. § 3 Ce n’est pas le spectacle dont les moyens sont en même temps le but. C’est le commerce. § 6 Debord réaffirme que le spectacle n’est pas un supplément au monde réel, qu’il est le cœur de l’irréalité de la société réelle. Mais c’est du vent, c’est des paroles verbales si le spectacle n’est pas la société même. Ce n'est pas la fun propagande qui est le cœur l'irréalité de la société réelle. C'est l'irréalité de la société réelle qui permet et requiert l'essor de la fun propagande et le pullulement des fun propagandistes. Ensuite Debord parle du spectacle " sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissement ". Mais il n’y a pas d’autre forme qui serait générale et qui serait la société même ou le monde même. Ces formes particulières sont bien affirmation omniprésente du choix déjà fait ailleurs (ailleurs que dans la fun propagande), présence permanente de cette justification etc. C’est bien ce que je disais: le spectacle n’est rien d’autre que la propagande, l’enculture de masse, c’est à dire industrialisation de ce qui était la culture et privatisation de la propagande. Ceci dit, oui, la propagande aujourd’hui a pris la forme d’une immense accumulation de divertissements et de spectacles. Oui, c’est vrai, la propagande est divertissement et spectacle. C’est vrai; mais c’est tout. C’est la gaie propagande, la gaie stapo de l’ère post-pédé. C’est tellement vrai que dès l’école les élèves sont censés s’amuser et apprendre le jeune et non plus la lecture, l’écriture et le calcul. La propagande, c’est le fun. C’est le devenir jeu de la soumission. Sous les anciens régimes, la culture était la chose des maîtres, aujourd’hui elle est destinée à abreuver les masses. Les maîtres n’ont d’ailleurs plus besoin de culture. Leur seule culture, c’est l’argent. J’ai lu quelque chose d’assez intéressant (je ne me souviens plus du nom de l’auteur) sur le rôle des avants gardes artistiques du début de ce siècle : ces avant-gardes, en contribuant à détruire la culture, ont comblé le projet des maîtres : ceux-ci ne voulaient plus de culture. Comme on le voit tous les jours, ils sortent leur revolver à haute altitude. § 7 " Le langage du spectacle est constitué par des signes de la production régnante, qui sont en même temps la finalité dernière de cette production. " C’est donc bien ça, comme je l’écrivais dernièrement : le spectacle, le capital devenu image, c’est les images de marque qui sont effectivement un des buts des multinationales, et donnent lieu à des luttes titanesques comme le relève le journaliste Guillebaud. Si je n’avais pas lu ça ailleurs, jamais je n’aurais pensé à une telle trivialité. Un but des multinationales est bien de s’assurer une image; mais en fait leur but essentiel est la domination, la continuation et l’extension de la domination. L’image de marque est comme l’asticot sur l’hameçon. Esclave est encore un trop beau nom pour désigner le néo-esclave, surtout sous sa forme d’employé de bureau et de pédé revendicatif. Bétail ou ressource humaine convient mieux car l’esclave sait qu’il est esclave tandis que le bétail ne sait pas qu’il va être mangé. Le néo-esclave gémit sur son sort et voudrait les avantages du capitalisme sans les inconvénients, comme ces pédés garantis par le gouvernement qui veulent convoler en justes noces. Pourquoi devrait-il être bien traité? Malheur au vaincu. Certes, les hoplites étaient pédés, notamment un certain bataillon thébain. Mais ils n’en étaient pas moins hoplites tandis que les pédés revendicatifs modernes ne sont que pédés et employés de bureau. J’ai lu une étude intéressante dans le Bulletin du Mauss, de Gilles Changé, il me semble, sur ce qu’il appelait la sociologie des dimensions. Le prétendu individu de la société moderne est constitué de dimensions : parent d’élève, hémophile, pédé, unijambiste, producteur de porc, pêcheur à la ligne, copropriétaire, victime d’attentat, dimensions qui toutes ont leur groupe de pression. Voilà donc ce prétendu individu unidimensionnel qui se révèle être aussi peu individu et aussi peu unidimensionnel que l’atome s’est révélé peu insécable. § 8 " Le spectacle qui inverse le réel… " Ce n’est pas le spectacle qui inverse le réel, c’est l’aliénation de la reconnaissance et de la division. § 10 Le concept de spectacle n’unifie et n’explique rien du tout. Il pourrait le faire si le spectacle était la société même, si ce concept avait un sens en tant que société même. Or il n’a pas ce sens. " La critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme la négation visible de la vie; comme une négation de la vie qui est devenue visible. " Ainsi donc, la négation de la vie serait devenue visible et rien ne se passerait! Karl Zéro n’est pas la négation de la vie devenue visible. C'est comme ce docteur Bounan qui prétend que le principe de la domination est connu depuis un siècle sans que cette mirobolante connaissance ait la moindre conséquence connue et sans nous faire part évidemment de ses lumières sur ce fameux principe si bien connu ! Quand la négation de la vie devient visible, notamment à la télévision, c’est sida, vache folle, poisons divers et, évidemment, chambres à gaz, toutes choses qui conviennent parfaitement au néo-esclave et le conforte dans ses récriminations. C’est une imposture de la négation de la vie, un spectacle de négation de la vie, la négation de la vie facile pour néo-esclave abruti tandis que la négation de la vie essentielle, cause de tout cela, qui fait d’ailleurs que les choses progressent, par leur mauvais côté, demeure cachée. Hegel est mort du choléra, mais le négatif n’est pas pour autant une maladie contagieuse. § 20 Si la vie la plus terrestre devient opaque et irrespirable, ce n'est certainement pas à cause du spectacle, de la fun propagande ni à cause de l'échappement des moteurs diesel. La fun propagande a un revers catastrophique et d'un sérieux répugnant tel qu'on peut le voir dans les ceci en colère et les cela en colère. Toutes les propositions de Debord qui auraient un sens si le spectacle en général en avait un sont privée de sens du fait de l'inexistence d'un concept du spectacle en général. § 22 Ainsi, la puissance pratique de la société moderne ne s'est pas édifié un empire indépendant dans le spectacle, dans la fun propagande. On voit un peut mieux où se situe cet empire indépendant avec les derniers avatars du monde. Marx avait prévu le dépérissement de l’Etat auquel on peut assister de nos jours. Mais il avait également prévu la disparition des financiers, spéculateurs et rentiers, qu’il haïssait au profit des seuls industriels, qu’il respectait. Le pauvre. On voit ce qu’il en est. A toutes les questions tranchées par oui ou par non il y a une chance sur deux de répondre juste, comme à pile ou face. C’est çà le socialisme scientifique, c’est pile ou face. Le stalinisme, c'est pile et face. La raison qui fait que pendant longtemps je pensai que le concept de spectacle avait un sens intéressant non trivial, est que j’estimais que le spectacle est la société même. Je continue d’ailleurs à penser que cette proposition peut avoir un sens intéressant. Il suffit simplement de trouver lequel. Je profite de cette communication pour remercier le Dr Welfaust d’avoir fait ici mon panégyrique, ce qui m’épargne le ridicule d’avoir à le faire moi-même.