Posted by observatoire de téléologie on March 17, 2000 at 03:44:00 PM EST:
Retournons à nos moutons
Récapitulons maintenant toutes les faiblesses de la dialectique de l'infini chez Hegel. C'est d'abord et constamment une présentation a priori, où le fini est censé rester borné et immédiat, et où avant même son mouvement l'infini est magnifié ; c'est ensuite une mise à égalité spectaculaire, où le fini n'est que le faire-valoir de l'infini ; mais cette mise à égalité est ensuite tronquée et soumise à une dialectique truquée, pour sortir de la contradiction, elle-même factice, entre fini et infini : des déterminations extérieures, en contradiction flagrante avec l'égalité prétendue des deux termes, sont introduites et deviennent opérantes ; et pour conclure, Hegel est obligé d'affirmer que le pseudo-dépassement ne se fait que par l'idéalité et au nom de l'idéalisme, c'est-à-dire dans ce cas précis exactement celui critiqué par Marx, mais qui ici est une façon de justifier l'arbitraire qui doit rester dissimulé. Ce n'était pas dans le cours du mouvement que le mauvais infini devient le bon, c'est parce que Hegel en a tranché ainsi a priori. D'ailleurs, c'est une des rares figures de la dialectique où le négatif, ici l'infini, et le dépassement sont la même chose, encore l'infini. Et leur seule différence véritable est le qualificatif qui leur est apposé, un qualificatif non issu de leur mouvement, mais d'un jugement de valeur a priori : mauvais et bon. C'est donc la dialectique autant que l'infini que Hegel cherche ici à sauver, et s'il montre la dualité fini-mauvais infini dont il s'acquitte si mal, c'est explicitement pour faire de l'infinitude dialectique le programme de l'idéalisme philosophique, dont le présupposé avoué est de ne pas reconnaître l'étant du fini. Hegel, l'antéchrist par religion, ne cherche pas à comprendre le monde, c'est-à-dire son contenu, il cherche à prouver la dialectique de chaque contenu, pour prouver la dialectique comme véritable contenu de tout. Et l'on voit, avec sa façon de traiter le fini et l'infini, combien ce but n'est pas immanent aux concepts, comme le soutiennent les hégéliens, mais combien les concepts sont pliés, taillés, escamotés pour être soumis à ce but.
Nos voyéristes de différentes tendances n'en sont pas là. Surtout depuis que leur idole Voyer a validé Hegel, ils ont transformé le regard de rejet initié par Marx, et devenu stupidement unilatéral, en son contraire, tout aussi stupidement unilatéral : Hegel n'est plus critiqué. Sa parole, son raisonnement, ne sont pas examinés, mais validés en bloc, parole d'évangile, sous le contrôle de Supervoyer s'entend. Cette obéissance a-critique est aussi bien la marque des suivistes que celle de la théorie même de Voyer, et c'est pourquoi cette théorie trouve un si fertile terreau parmi les vaincus des deux, voire des trois dernières grandes vagues de révolte (si on inclut celle de 68-75, en regard de fossiles comme Bueno).
Lorsque nous demandons à Hate Company pourquoi le process devrait être dialectique, c'est que nous ne sommes pas en effet persuadés que la pensée soit dialectique, contrairement à Hegel et à Voyer. Mais même dans la dialectique hégélienne, l'infini apparaît comme mauvais, et devient bon (et l'infini quantitatif suit un développement analogue pour devenir qualitatif). Pas plus que le mauvais infini en soi, l'infini quantitatif n'est une affirmation de la finitude des choses auxquelles il est appliqué : ils sont seulement, tous deux, du point de vue de la dialectique infinitiste, une impasse méthodologique, un énoncé mal présenté, ce que les téléologues pensent de tout infini, bon, mauvais, quantitatif, ou qualitatif retrouvé. Mais tout comme l'infini a besoin du fini pour exister dans cette logique (et la réciproque n'est pas vraie, malgré les apparences), le bon infini a besoin du mauvais et le qualitatif du quantitatif, puisque l'infini apparaît dans le fini, le bon infini apparaît dans le mauvais, et l'infini qualitatif retrouvé apparaît dans l'infini quantitatif.
Du conservatisme magnifié
L'éminent Ben Aziz cite le petit Hegel :
" Etant fini, le but a en outre un contenu fini; par ce fait il n'est pas quelque chose d'absolu ou de purement et sipmlement rationnel en soi et pour soi .Mais le moyen - Mittel est le terme moyen ( Mittel extérieur du syllogisme, lequel est l'accomplissement du but; en ce moyen se manifeste donc la rationalité en tant que telle qui est dans le syllogisme, la rationalité qui consiste à se maintenir dans cet autre extérieur et précisément par cette extériorité .Dans cette mesure, le moyen est plus haut que le but fini de la finalité ( Zweckmässigkeit) extérieure,- la charrue a plus de de dignité que les stisfactions immédiates qu'elle prépare et qui sont les buts. L'instrument se conserve tandis que les satisfactions immédiates passent et sont oubliés. Par ces instruments, l'homme détient le pouvoir sur la nature extérieure tandis que dans ses buts il lui est plutôt subordonné . Ce passage de Hegel est cité ,comble de l'ironie dans cahiers sur la dialectique de Hegel De Lénine ! qui a bien compris qu'on ne peut pas dresser une antinomie entre la causalité et téléologie, entre cause et but.
Hegel
Georges LUKACS le jeune Hegel ,tome 2 p.91
Editions Gallimard Paris 1981
L'intérêt de ce passage - qui traite du but sous le seul angle de la rationalité utilitariste - est qu'il montre, de manière encore plus claire que la dialectique du fini et de l'infini, en quoi consiste la dialectique de Hegel : c'est le moyen qui s'élève au-dessus du but à l'infini, c'est la forme qui annule le contenu, c'est la méthode qui se nourrit et a raison de son objet, et qui devient son propre objet, comme le média dans le monde devient ce que McLuhan en avait dit au grand scandale, fort injustifié, des situationnistes : the media is the message. L'enculé Voyer a raison sur ce point (et pas seulement sur celui-là) : ce monde est furieusement hégélien.
Encore une fois, on trouve chez Hegel une dialectique défaillante : si la charrue prépare des satisfactions, elles sont médiatisées par la charrue, et non immédiates, comme elles doivent l'être dans le moralisme de notre antéchrist religieux pour que leur dignité soit moins grande que celle de la charrue.
Passons sur l'étrange dignité de la charrue, qui plaît bien sûr à un Lenine et à un Lukács devenu léniniste, passons sur les charrues non oubliées, passons sur le fait que les satisfactions de la finitude ne s'opposent en rien aux moyens de leur réalisation, mais bien plutôt aux insatisfactions que la finitude révèle, et ne relevons ici que le conservatisme extrême de « la rationalité qui consiste à se maintenir dans cet autre extérieur », de l'instrument « qui se conserve ». Enfin, on n'a jamais encore vu l'homme détenir le pouvoir sur la « nature extérieure » (rien de tel n'a de réalité), et évidemment, dans ses buts, l'homme se soumet toute forme de nature, lisez l'observatoire de téléologie. Ici c'est dans la charrue que l'homme est soumis, soumis à ses moyens. C'est ce à quoi Hegel, qui ignore ce qu'est la pratique, qui est la réalité de l'insatisfaction de la satisfaction, ne s'est jamais élevé.
Mais si le monde n'est pas dialectique, une nouveauté, une exception, est toujours possible. Ainsi nous savons désormais pourquoi la concierge Ben Zozo a une charrue dans sa loge : elle ne s'assoit sur rien d'autre, les satisfactions immédiates passent, et la charrue reste. Elle aura encore une fois raison de se plaindre de notre mauvois français, car ici, une fois de plus, elle est la victime manifeste d'un complot juif, puisque de toute évidence cette charrue est une Machine à Sion ! Et ceux qui pensent que ce sont les Suisses sont des Staliniens ! Mais ceux qui lisent Machine à Sous en sont aussi, parce que l'argent c'est mal comme les Staliniens ! Sauf aux étrennes !
L'infini de Guénon
Guénon, qui nous est opposé par ailleurs, dit clairement qu'il n'y a qu'un seul infini (niant énergiquement la pluralité des infinis), le « Tout universel », indéterminé, et que tout ce qui est déterminé est fini, même quand il se présente sous la forme de l'indéfini, comme les entiers positifs, le temps et l'espace. Mais nous voudrions bien savoir comment ce « Tout universel » ne rencontre pas la détermination, puisqu'il est « ce qui inclut en soi toutes les possibilités », et nous voudrions bien savoir comment toutes les possibilités ne seraient pas, en tant que toutes les possibilités, une détermination, toutes pour le tout des déterminations, voire chacune en et pour soi déterminée en elle-même, ce qui, par rapport à la validité de l'indétermination du Tout universel revient au même.
D'autre part, déjà la dénomination elle-même, « Tout universel », désigne clairement un « Tout » déterminé par un « universel ».
De plus, quel est le rapport du « Tout universel » au fini, et même à l'indéfini ? On est bien obligé de considérer qu'il est nécessairement séparé du fini, et dans ce cas, puisque le fini est réel d'après Guénon, comment un « Tout » universel ou autre pourrait-il être séparé de la réalité ou d'une de ses parties, et ceci sans que cette séparation ne lui soit une détermination ?
Enfin, si « l'Infini, ainsi entendu, est métaphysiquement et logiquement nécessaire », il est donc pour le moins déterminé par la nécessité.
Ce sont là des objections rapides et simples parce qu'elles sont marquées d'une logique qui n'est pas davantage celle des téléologues que la dialectique hégélienne. C'est tout simplement la même que celle avec laquelle Guénon pourfend fort justement tous ceux qui soutiennent des infinis particuliers, et leur pluralité. Sauf que si Guénon procède ainsi pour ses infinis particuliers, c'est pour élever, hors de portée, un infini sans réalité ni même accès, un peu comme ce tawhid islamique vers lequel on ne peut lever les yeux.
L'infini de Guénon n'est pas compatible avec celui de Hegel
La principale différence entre l'infini chez Guénon et l'infini chez Hegel semble être que le premier ne tolère dans son infini aucune détermination, alors que, pour le second, l'infini qualitatif est décrit comme suit : « Cet infini, comme être-revenu-en-soi-même, rapport de soi sur soi-même, est être, mais pas être indéterminé, abstrait, car il est posé comme niant la négation ; il est ainsi aussi être-là, par conséquent déterminité. » Et en effet, comment l'infini dialectique ne procéderait-il pas de son mouvement, qui n'est que le mouvement de ses déterminations ?
Comme pour la matière et la pensée, en tant que principes de l'être, on ne peut pas faire cohabiter deux principes : soit l'infini est une qualité de la généralité, ou de l'absolu, ou de l'indéterminé, mais à ce moment-là il est aussi une qualité du particulier, de l'éphémère et du déterminé, car s'il est dans tout, il est bien dans chaque chose, ou alors il faudrait admettre qu'il s'arrête, qu'il ait une fin à l'entrée de la détermination, qu'il soit borné par la détermination, ce qui est déjà une détermination, et il ne serait donc plus infini (et, une fois de plus, dans ce dilemme, Hegel a bien sûr choisi que l'infini était dans chaque chose et contenait chaque chose, y compris son contraire rabioté pour la circonstance, le fini) ; soit, comme nous l'affirmons, il n'y a rien qui soit infini, ni le particulier, ni le général, ni la quantité, ni la qualité. Mais comment peut-on soutenir l'infini de Guénon, qui tolère la limite de sa séparation avec le fini ? Le Hanswurst qui a ramené hâtivement Guénon étale ici la même contradiction que Hate Company lorsqu'il soutient un principe matériel de l'univers cohabitant avec le principe spirituel de la communication infinie : il soutient la dualité d'un infini hors de toute détermination et d'un infini de la déterminité même.
On pourrait aussi remarquer que Guénon s'oppose formellement mais sans le dire, ou sans le savoir, à Hegel quand il dit que le signe 'infini' « est lui-même une figure fermée, donc visiblement finie, tout aussi bien que le cercle dont certains ont voulu faire un symbole de l'éternité, tandis qu'il ne peut être qu'une figuration d'un cycle temporel, indéfini dans son propre ordre, c'est-à-dire de ce qui s'appelle proprement la perpétuité ». Hegel, en effet, arrive à la figure du cercle pour expliquer ce en quoi le bon infini se distingue de celui contenu dans la droite, qui est le mauvais infini : « L'image de la progression dans l'infini est la ligne droite aux deux limites de laquelle [il n'y a] que l'infini et qui n'est toujours que là où elle - et elle est être-là - n'est pas, et qui sort vers ce non-être-là sien, c'est-à-dire, dans l'indéterminé ; en tant que véritable infini, retourné en soi, sa véritable image devient le cercle, la ligne qui s'est atteinte, qui est fermée et entièrement présente, sans point de départ et sans fin. »
Il va bien à un avocat marron du falsificateur Voyer de se faire l'avocat marron de l'infini : il pioche où il trouve, en espérant que l'autorité de ses bouts de théorie collés fera l'affaire. Se réclamant à la fois de Hegel et de Guénon, on voit encore mieux de quel panzerbonimenteur (creusez le mot panzerbonimenteur) il s'agit.
Deux apophtegmes
Comme la défense de l'infini est à la mode, deux petites carpettes à prétention intellectuelle, qui rêvent d'être animateurs de débat, mais qui sont juste en dessous de la capacité au débat (contrairement par exemple au bouffon Bueno, qui a les mêmes prétentions mais qui est loin en dessous), Terrien et Aristoutou lâchent des apophtegmes sur l'infini, comme les roquets lâchent des crottes sur les trottoirs.
L'enculé Terrien, chez qui la résignation complaisante se voudrait système de pensée, retourne l'aporie commode de l'idée d'infini en impuissance intrinsèque de l'esprit : « l'infini c'est d'abord ce que notre esprit ne peut pas embrasser ni comprendre... ».
L'enculé Aristote, chez qui un pédantisme creux fait office d'argumentation, troque le jargon pour le calembour : « la poésie c'est l'infini en actes ».
On pourrait répondre au premier que c'est au contraire tout finir que notre conscience (et non pas notre esprit, qui est justement le mouvement de tout finir) ne peut ni embrasser ni comprendre, que l'infini est précisément le palliatif et la résignation de la conscience à cette double incapacité ; et au second que les banalités sentencieuses de ce genre font le yaourt de tous les impuissants et les résignés de la culture décomposée : « quand on aime la vie, on va au cinéma », etc.
Toutefois c'est une citation qui nous paraît le mieux faire justice de ces deux magistrales réflexions (comme de beaucoup d'autres d'ailleurs), en ce qu'elle remet la première sur ses pieds et laisse la deuxième sur son cul - à Descartes, qui entendait prouver l'existence de Dieu par l'existence, dans l'entendement, de l'idée d'infini, Gassendi répondait :
« Celui qui dit une chose "infinie" donne à une chose qu'il ne comprend pas un nom qu'il n'entend pas non plus. »