Posted by Sextus Empiricus on March 17, 2000 at 01:07:57 PM EST:
"Libération" du 17 mars 2000
Il n'y a pas d'affaire du fioul contaminé. Les quelques milliers de bénévoles de la marée noire n'ont pas plus de probabilité de développer un cancer de la peau que la moyenne nationale. La polémique sur une pseudo-conspiration de l'Etat et de Total, qui auraient délibérément caché aux bénévoles la nature cancérigène de ce mazout, a été dégonflée mercredi par une théorie de scientifiques devant la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale sur la sécurité du transport maritime.
Selon les représentants de sept organismes publics chargés du suivi sanitaire de ce type de polluant (1), des informations ont été données - sinon entendues - dès le début sur le caractère toxique de la marée noire et les précautions à prendre. Seul contre tous, Bernard Tailliez, directeur d'Analytika, un petit laboratoire privé, maintient qu'«il aura fallu trois mois pour que soit connu en détail le caractère cancérigène de la cargaison». Mais ce qui a surtout été révélé, c'est l'incapacité des autorités à diffuser un message sanitaire clair à la population en matière de risque environnemental.
Un risque «négligeable». Certes, le fioul de l'Erika contient une forte proportion d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) classés cancérigènes, dont des benzo (a) pyrène, les plus toxiques. Mais le risque dépend de la durée d'exposition à ce produit «dangereux». Essentiellement par contact cutané, «car les émanations des composés volatils sont peu importantes», a expliqué le docteur Baert du centre antipoison de Rennes. Dès le 21 décembre, ses recommandations de porter «gants, cirés et bottes», élaborées à partir de la fiche technique du fioul fournie par Total, sont envoyées à tous les PC de crise, puis affichées sur les chantiers de nettoyage, sans que soit précisée la nature cancérigène du fioul.
Depuis, au vu de l'analyse des échantillons prélevés sur les plages, le professeur Baert n'a pas changé d'avis : résumant l'opinion de tous les scientifiques présents, il estime le risque sanitaire «négligeable» pour les ramasseurs des plages et «acceptable» pour les nettoyeurs d'oiseaux. «Quand on étale du fioul sur la peau, on ne sait pas combien passe dans l'organisme», a expliqué le Dr Baert. Mais dans tous les cas la durée d'exposition des ramasseurs cantonne le risque «à celui de la vie courante», a résumé ce toxicologue. Pour les nettoyeurs d'oiseaux à mains nues, «le risque serait de 1 sur 10 000. Comme il y a eu entre 3 000 et 4 000 personnes concernées, statistiquement une seule pourrait être touchée», explique André Cicolella, auteur du rapport sur l'impact sanitaire du fuel de l'Erika rendu public la semaine dernière. Les 100 000 professionnels exposés aux HAP régulièrement courent un risque dix fois plus important.
Manque de transparence. Malgré les consignes de protection, beaucoup de bénévoles ont eu l'impression de ne pas avoir été alertés. «Les Ddass n'ont pas voulu mentionner le terme "cancérigène". D'où la paranoïa actuelle. On aurait dit aux bénévoles : "Vous prenez un risque un petit plus important que les autres mais acceptable", ça ne les aurait pas découragés. Ils étaient capable de distinguer le danger intrinsèque de la substance et les risques liés à la durée d'exposition», regrette un scientifique. Dès le 12 janvier, Libération inventoriait dans un article intitulé «Quand la marée noire donne des boutons» l'ensemble des risques liés à la présence de molécules cancérigènes dans le fioul de l'Erika.
Fioul numéro 2 ou déchet ? Contre l'avis unanime des autres scientifiques, Analytika a maintenu, sans apporter de nouvelles preuves, sa version : le pétrolier maltais transportait des déchets industriels toxiques, et non du fioul numéro 2. «Les variations physico-chimiques (viscosité, teneur en soufre et en eau) observées par Analytika proviennent du vieillissement du produit en mer», lui ont rétorqué ses confrères. Selon des informations recueillies par Libération, aucune trace d'aromatiques chlorés n'a été relevée. Or, les solvants chlorés sont très généralement présents dans les déchets industriels. «C'est un débat entre chimistes qui n'a pas d'incidence sur la pathologie humaine», a conclu un parlementaire.
(1) Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), centre antipoison de Rennes, laboratoire Analytika, Centre de documentation, de recherches et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), Institut français du pétrole (IFP), Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et laboratoire de cryptogamie du Muséum d'histoire naturelle.
« Erika »: une étude évoque les effets de « cancérogenèse » sur le milieu marin
Un rapport, commandé par le ministère de l'environnement, soulignait, dès le 4 février, les impacts sur la faune et la flore du fioul échappé du pétrolier affrété par TotalFina, « un produit concentrant les composés les plus toxiques du pétrole », selon les scientifiques
Mis à jour le mardi 14 mars 2000
l n'y a pas d'affaire du fioul contaminé. Les quelques milliers de bénévoles de la marée noire n'ont pas plus de probabilité de développer un cancer de la peau que la moyenne nationale. La polémique sur une pseudo-conspiration de l'Etat et de Total, qui auraient délibérément caché aux bénévoles la nature cancérigène de ce mazout, a été dégonflée mercredi par une théorie de scientifiques devant la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale sur la sécurité du transport maritime.
Selon les représentants de sept organismes publics chargés du suivi sanitaire de ce type de polluant (1), des informations ont été données - sinon entendues - dès le début sur le caractère toxique de la marée noire et les précautions à prendre. Seul contre tous, Bernard Tailliez, directeur d'Analytika, un petit laboratoire privé, maintient qu'«il aura fallu trois mois pour que soit connu en détail le caractère cancérigène de la cargaison». Mais ce qui a surtout été révélé, c'est l'incapacité des autorités à diffuser un message sanitaire clair à la population en matière de risque environnemental.
Un risque «négligeable». Certes, le fioul de l'Erika contient une forte proportion d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) classés cancérigènes, dont des benzo (a) pyrène, les plus toxiques. Mais le risque dépend de la durée d'exposition à ce produit «dangereux». Essentiellement par contact cutané, «car les émanations des composés volatils sont peu importantes», a expliqué le docteur Baert du centre antipoison de Rennes. Dès le 21 décembre, ses recommandations de porter «gants, cirés et bottes», élaborées à partir de la fiche technique du fioul fournie par Total, sont envoyées à tous les PC de crise, puis affichées sur les chantiers de nettoyage, sans que soit précisée la nature cancérigène du fioul.
Depuis, au vu de l'analyse des échantillons prélevés sur les plages, le professeur Baert n'a pas changé d'avis : résumant l'opinion de tous les scientifiques présents, il estime le risque sanitaire «négligeable» pour les ramasseurs des plages et «acceptable» pour les nettoyeurs d'oiseaux. «Quand on étale du fioul sur la peau, on ne sait pas combien passe dans l'organisme», a expliqué le Dr Baert. Mais dans tous les cas la durée d'exposition des ramasseurs cantonne le risque «à celui de la vie courante», a résumé ce toxicologue. Pour les nettoyeurs d'oiseaux à mains nues, «le risque serait de 1 sur 10 000. Comme il y a eu entre 3 000 et 4 000 personnes concernées, statistiquement une seule pourrait être touchée», explique André Cicolella, auteur du rapport sur l'impact sanitaire du fuel de l'Erika rendu public la semaine dernière. Les 100 000 professionnels exposés aux HAP régulièrement courent un risque dix fois plus important.
Manque de transparence. Malgré les consignes de protection, beaucoup de bénévoles ont eu l'impression de ne pas avoir été alertés. «Les Ddass n'ont pas voulu mentionner le terme "cancérigène". D'où la paranoïa actuelle. On aurait dit aux bénévoles : "Vous prenez un risque un petit plus important que les autres mais acceptable", ça ne les aurait pas découragés. Ils étaient capable de distinguer le danger intrinsèque de la substance et les risques liés à la durée d'exposition», regrette un scientifique. Dès le 12 janvier, Libération inventoriait dans un article intitulé «Quand la marée noire donne des boutons» l'ensemble des risques liés à la présence de molécules cancérigènes dans le fioul de l'Erika.
Fioul numéro 2 ou déchet ? Contre l'avis unanime des autres scientifiques, Analytika a maintenu, sans apporter de nouvelles preuves, sa version : le pétrolier maltais transportait des déchets industriels toxiques, et non du fioul numéro 2. «Les variations physico-chimiques (viscosité, teneur en soufre et en eau) observées par Analytika proviennent du vieillissement du produit en mer», lui ont rétorqué ses confrères. Selon des informations recueillies par Libération, aucune trace d'aromatiques chlorés n'a été relevée. Or, les solvants chlorés sont très généralement présents dans les déchets industriels. «C'est un débat entre chimistes qui n'a pas d'incidence sur la pathologie humaine», a conclu un parlementaire.
(1) Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), centre antipoison de Rennes, laboratoire Analytika, Centre de documentation, de recherches et d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), Institut français du pétrole (IFP), Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et laboratoire de cryptogamie du Muséum d'histoire naturelle.
Le Monde daté du mercredi 15 mars 2000
« MALGRÉ LE FAIBLE volume déversé par l'Erika, les effets à craindre pourraient être proportionnellement très importants et durables, car il s'agit d'un produit concentrant les composés les plus toxiques du pétrole. [...] La toxicité de 10 000 tonnes d'une cargaison de F02 [fioul lourd numéro deux] pourrait être comparée à celle d'une cargaison de 200 000 tonnes de brut. » Le vendredi 4 février, le service de la recherche du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement rendait à Dominique Voynet un rapport intitulé « Impacts du naufrage de l'Erika : quelques éléments de connaissances ».
A l'origine, cette étude avait été commandée par la ministre afin de se faire une opinion sur le risque sur l'environnement induit par la marée noire. Les réponses étaient sans équivoque. « Vingt microgrammes de fioul lourd numéro deux déposé sur une coquille d'oeuf d'eider provoquent 100 % de mortalité chez les embryons de cette espèce de canard marin », estiment les scientifiques. Et encore : « Sa toxicité est telle que seulement 0,2 microgramme par litre d'eau de mer de F02 provoquent 100 % de mortalité dans les zygotes d'une algue brune. » Les zygotes sont les cellules nées de la fécondation des algues. L'étude évoque des effets de « mutagenèse » et de « cancérogenèse » dans le mileu marin.
NON-DIT
Mme Voynet prend connaissance du document le lundi suivant, le 7 février. « Je lis ce rapport et je me dis qu'il est impossible qu'on pressente un tel impact sur l'environnement et qu'il n'y ait pas de conséquences sur la santé », explique la ministre. Cette dernière affirme alors avoir saisi, le même jour, Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Les deux cabinets s'attellent alors à un communiqué commun. Il ne sera prêt que le 10 février à 22 heures. Ce communiqué rappelle les recommandations « afin d'éviter le contact avec la peau ». Mais, une fois de plus, la référence au risque cancérogène est gommée. Il est simplement annoncé qu'une expertise a été commandée à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris).
Mais le non-dit tient de moins en moins. Les collectifs anti-marée noire, les associations de défense de l'environnement, le laboratoire indépendant Analytika relancent tour à tour la polémique. Le 21 février, à Vannes, Mme Voynet confirme enfin que le fioul de l' Erika est un cancérogène numéro deux, « ce qui signifie qu'il existe une forte présomption qu'il soit effectivement cancérigène ». Le 25, le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale publie à son tour un communiqué allant dans le même sens. Le 8 mars, l'Ineris annonce que la nature du fioul comporte « un danger réel » mais que le « risque est négligeable », texte qui passe alors pour une reconnaissance officielle.
Mme Voynet affirme aujourd'hui qu'elle ne connaissait pas le caractère de cancérogène numéro deux du produit, le 25 décembre, lorsqu'elle s'est déplacée la première fois sur le lieu de la marée noire. Ses doutes seraient nés le 12 janvier, quand elle a pris connaissance des symptômes dont étaient victimes certains bénévoles à travers une étude de terrain menée par la DDASS.
Pendant plusieurs semaines, le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale, situés respectivement au 20 et au 8 de l'avenue de Ségur, se sont donc renvoyé le délicat dossier. Lors du conseil national interrégional (CNIR) des Verts, samedi 12 février, où elle était venue s'expliquer devant ses troupes de son attitude pendant la marée noire, Mme Voynet s'était plainte à la tribune de ces atermoiements. « Et il a fallu que ce soit mon ministère, qui n'a aucune compétence en matière de santé humaine, qui demande des analyses plus poussées », s'était-elle indignée.
Placée au centre de la polémique pour s'être exprimée la première sur la question, Mme Voynet rappelle qu'il incombait « à d'autres » qu'elle de s'occuper du volet sanitaire de la marée noire. Outre le secrétariat d'Etat à la santé, la ministre fait implicitement référence aux ministères de l'intérieur ou à celui de la défense, impliqués dans le plan Polmar. Lors du CNIR, Mme Voynet s'était démarquée : « Ma liberté de parole n'est pas entière, mais je ne veux pas masquer l'absence des représentants les plus éminents de l'Etat dans cette affaire. »
Au secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale, on se montre peu disert sur le sujet. Interrogé à plusieurs reprises par Le Monde pour savoir ce que savaient ses services et depuis quand, le secrétariat d'Etat n'a pas souhaité s'exprimer, se repliant derrière le travail de l'Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et des délégations départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass). Le 10 mars, Mme Gillot a déclaré que « tous les avis scientifiques ont été rendus publics, et le caractère nocif du produit a toujours été mis en avant. Il n'y a jamais eu de volonté d'occulter la dangerosité faible du mazout de l'Erika . » « Par précaution, a-t-elle ajouté, nous avons décidé de procéder à un suivi épidémiologique au long cours des 3 000 personnes qui ont été amenées à travailler sur les plages. »
Béatrice Gurrey et Benoît Hopquin
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Divergences écologistes
Le Comité anti-marée noire, qui reprochait à Dominique Voynet, vendredi 10 mars, dans Le Parisien, d'avoir manqué de rapidité et de transparence quant aux risques sanitaires encourus par les bénévoles venus ramasser le fioul de l' Erika, compte plusieurs opposants politiques de la ministre de l'environnement.
Créé le 24 janvier sous la forme d'une association auprès de la préfecture de Paris, plusieurs semaines après les collectifs anti-marée noire locaux, ce comité a notamment pour président Franck Laval, un ancien Vert, proche de Génération écologie jusqu'à une période récente. Olivier Bidou, membre du bureau, a participé à une campagne électorale de Brice Lalonde. Patrice Miran est également un proche du Mouvement écologiste indépendant (MEI), fondé en 1994 par Antoine Waechter. Rossano Pulpito, lui aussi membre du MEI, a créé une Association des bénévoles de l' Erika, qui vient de déposer plainte auprès de cinq tribunaux visant les préfets concernés pour « exposition directe d'autrui à risque de mort ou de blessures » ( Le Monde du 14 mars).