Posted by on February 25, 2000 at 12:17:19 PM EST:
Libération, 25 février 2000
La France est-elle en train de prendre la place de l'Allemagne sur le podium économique européen? C'est la conviction du Lombard Street Research (LSR), un des principaux cabinet d'études économiques britanniques, qui dans sa dernière revue mensuelle (1) affirme que la France de Jospin «devient la locomotive de l'Europe, sinon la principale économie», laissant sur place une Allemagne souffrant de deux entraves: sa dépendance à une industrie de moyenne technologie plombée par des coûts élevés et l'impossible fardeau oriental qu'elle porte depuis la chute du mur de Berlin.
Le Financial Times, dans un article publié mercredi, va dans le même sens. Il se demande si la France, «naguère synonyme d'intervention étatique et d'inflation élevée, n'a pas commencé à prendre à l'Allemagne la place de champion de la monnaie forte et de locomotive de l'expansion».
L'article, illustré par un aigle et un coq qui auraient échangé leur tête, constate qu'en 1999, pour la cinquième année de suite, la croissance a été plus forte en France qu'en Allemagne. Et que la première sait bien mieux que la seconde attraper les capitaux étrangers.
Plein régime. La plupart des analystes, depuis quelques mois, ne voient que du bleu dans le ciel économique français. L'Insee elle-même s'étonne des chiffres exceptionnels qu'elle récolte (2). Après 15 années où la consommation et l'investissement ont été comprimés pour lutter contre l'inflation, la machine française a redémarré à plein régime. Les exportations progressent actuellement d'environ 10 % en rythme annuel, l'industrie hexagonale ayant retrouvé une forte compétitivité, notamment grâce à l'entrée du franc dans l'euro à un taux très avantageux. Le logement explose, entraînant derrière lui la consommation de biens durables (meubles, électroménager, etc.). Et l'investissement des entreprises, longtemps étouffé par des taux d'intérêts élevés, repart fortement (+ 7,8 % en 1999 après + 7,2 % en 1998, selon LSR).
Aux yeux des économistes anglo-saxons, Lionel Jospin peut revendiquer sa part de responsabilité dans cette embellie. Après avoir trempé sa plume dans une eau libérale d'une grande pureté, l'auteur de l'étude du LSR, Charles Dumas, dresse un portrait enthousiaste du gouvernement socialiste français. Sur le thème: Jospin est en train, à sa manière, de faire voler en éclat le capitalisme encroûté propre à l'Europe continentale. Il le fait «avec plus de subtilité que tout autre, compte tenu de son handicap: il s'agit d'un gouvernement socialiste».
«Nixon en Chine». Ce gouvernement, explique l'auteur, utilise la technique «Nixon en Chine». Avant son élection Richard Nixon symbolisait l'opposition à un rapprochement avec la Chine: il était donc le mieux placé pour imposer ce rapprochement. De même, Jospin est le mieux placé pour «mettre fin à une longue tradition de pratiques sociales restrictives et bloquantes». Il le fait «sous couvert d'une loi sur les 35 heures, qui a été l'obsession de la gauche depuis des années». Le Lombard Street Research trouve bien des vertus à cette loi certes «perverse en elle-même», mais qui permet d'imposer une plus grande flexibilité: elle est «moins dommageable qu'on pouvait le croire au premier abord».
Jospin a eu aussi l'intelligence, selon le LSR, d'ignorer «l'obsession presque maniaque des technocrates parisiens pour comprimer la demande et promouvoir le franc fort» sans pour autant laisser dériver les dépenses publiques, ce qui confirme que «son gouvernement est un mouton dans des habits de loup». Le Financial Times partage cette analyse. A la différence de Gerard Schröder, qui a «utilisé l'an dernier des fonds publics pour secourir un groupe de BTP en difficulté, Holzmann», Lionel Jospin utilise un «vieux truc»: «Parler comme un homme de gauche quand c'est politiquement nécessaire, et pendant ce temps, agir tranquillement dans l'intérêt du business.»
Les 35 heures? Introduites en France pour avoir plus de flexibilité, «elles n'ont pas jusque-là affecté la compétitivité des entreprises. Le coût apparent des 35 heures a été plus que compensé par le gel ou la modération des salaires», explique le FT. Si l'on suit bien la prose financière d'outre-Manche, le Medef n'a donc rien compris aux 35 heures.
(1) Monthly international review, n° 93 February 2000. www.lombard-st.co. uk
(2) L'Insee doit publier aujourd'hui les comptes du dernier trimestre 1999, les chiffres de la consommation en janvier et le moral des industriels en février.