Re: et mon sartre alors sur l'extrême gauche maoïste?


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Posted by Benny LEVY on January 28, 2000 at 08:15:20 AM EST:

In Reply to: et mon sartre alors sur l'extrême gauche maoïste? posted by lévy on January 24, 2000 at 03:08:21 PM EST:

(Benny Levy, dernier confident de Sartre)
Benny Lévy n'a pas fui la problématicité du monde dans l'obéissance et la prière. La certitude n'est pas son lot, ni le fanatisme souriant ni la sagesse définitive.

La France, en se mondialisant, s'est-elle simultanément provincialisée? L'aspiration, certes un peu prétentieuse, à un rayonnement international ne relève-t-elle plus que de l'archive ou du musée?

Un événement en apparence anecdotique - la fermeture du séminaire doctoral de philosophie de Jérusalem - autorise à se poser la question.

Ce séminaire était l'ultime vestige d'une école extra-muros ouverte par l'université de Paris-VII à l'automne 1996. L'idée était audacieuse: le succès fut immédiat et foudroyant. Benny Lévy, qui en était le maître d'œuvre, assurait un cours hebdomadaire régulièrement suivi par une cinquantaine d'étudiants.

Et plusieurs universitaires français - Pierre Chartier, Monique Dixsaut, Jean-Claude Milner, Jacques Derrida - ont tenu des séminaires ou des conférences devant un public, francophone et francophile, toujours nombreux.

L'école, pourtant, fut dissoute à l'automne 1997 par décision du conseil d'administration de Paris-VII : il ne fallait rien favoriser dans la Jérusalem de Netanyahou.

Reconnaissant cependant l'excellence du travail de Benny Lévy, le président de l'université (nouvel élu) lui donna une lettre de mission pour continuer son séminaire et conduire les étudiants inscrits au terme de leur cursus.


Benny Lévy chercha alors à restaurer l'idée d'école doctorale dans une autre université.

Paris-I donna son plein accord et vota le projet.

Mais cette université ne prévoyait pas que Benny Lévy puisse diriger le travail de recherche de ses étudiants.

A l'automne 1998, une convention signée avec Paris-VII délégua pour deux ans le service de Benny Lévy à l'Alliance française.

Le 9 septembre 1999, le Journal officiel annonça la transformation de l'Alliance française en annexe du centre culturel français de Jérusalem-Est.

Or, l'Alliance française, association de droit israélien, ne peut être dissoute que par l'assemblée de ses membres.

Celle-ci, réunie quelques semaines après l'annonce repoussa le projet de dissolution.


Le 9 décembre, le président de Paris-VII informa Benny Lévy que l'Alliance française de Jérusalem ayant cessé d'exister, sa mission était interrompue.

Pourquoi cet acharnement? Pourquoi cette illégalité?

La contribution française au renforcement du lien intellectuel entre Israël et l'Europe ne peut être que bénéfique à Israël, à l'Europe et à la France.

Car ce lien s'est singulièrement distendu. Il est même à ce point tombé dans l'oubli que nul en Israël ne reprendrait aujourd'hui à son compte la formule provocante et profonde de Kurt Blumenfel, l'ami de Hannah Arendt :

«Le sionisme est le cadeau de l'Europe aux juifs.»

Mais qui s'en soucie?

Depuis des décennies, l'attention du monde progressiste est obnubilée par le contentieux entre les juifs privilégiés venus d'Europe centrale et le second Israël formé par les juifs orientaux.

Ce problème social est bien réel, mais il a fallacieusement conduit à taxer d'ethnocentrisme ces Ashkénazes qui tiennent le haut du pavé israélien, au moment même où s'éclipsait la culture européenne et où l'Amérique prenait possession des lieux.

Que l'american dream exerce son attraction sur les citoyens israéliens, cela n'a, en soi, rien de scandaleux : l'emprise de ce rêve est universelle.

Mais que la philosophie continentale soit présente à Jérusalem, par la France et en français, c'est un programme dont l'importance ne devrait pas nous échapper pour que les mots de France fassent encore sens pour nous.

Seulement voilà: le centre culturel français de Jérusalem a d'autres chats à fouetter que l'Europe ou la philosophie.

Sous le titre Palestine 1948, 50 years after Al Nakba (50 ans après la catastrophe), il exposait ces jours-ci une carte d'Israël constituée des villes et des villages palestiniens «dépeuplée par l'invasion sioniste».

Ainsi, en guise de présence française, entretient-on la logique de guerre, alors même que Palestiniens et Israéliens prennent le risque du compromis et font l'effort de dépasser aussi bien leurs griefs réciproques que leurs clichés respectifs pour arriver à la paix.


Est-ce donc l'installation en territoire ennemi qu'on a décidé de faire payer à l'Alliance française et aux séminaires qu'elle abritait?


Ou bien est-ce l'inquiétante trajectoire de Benny Lévy?

Car, indéniablement, Benny Lévy fait peur.

Ancien dirigeant de la Gauche prolétarienne, puis secrétaire de Sartre bousculant le vieil homme et dialoguant d'égal à égal avec lui, le voici désormais pieusement penché sur les lettres carrées de la Thora.

Mao, Moïse : d'une radicalité, l'autre. Et l'on doit se dire, à Paris-VII comme dans les cercles diplomatiques, que le cléricalisme n'a pas été vaincu en France, il y a un siècle, pour qu'une université parisienne subventionne, à Jérusalem et au moment d'entrer dans le troisième millénaire, le camp des intégristes.


Ce serait trahir notre vocation que de participer à l'affaiblissement des Lumières et de laisser, sans coup férir, la philosophie redevenir la servante docile de la théologie.

Fort, sans doute de cette conviction, l'ambassadeur de France n'a pas eu besoin d'assister au séminaire de Benny Lévy pour émettre l'idée qu'il s'agissait d'un cours de religion: les faits ne parlent-ils pas d'eux-mêmes?

La biographie du maoïste reconverti n'est-elle pas assez explicite?

Quand j'ai rencontré Benny Lévy en 1980, il sortait du militantisme et il n'avait pas encore opéré son «retour» au judaïsme orthodoxe.

Dans le cadre d'un projet de «reportages d'idées» conçu par Michel Foucault pour le Corriere della Sera, nous sommes allés en Israël et en Egypte enquêter sur la fragile logique de paix mise en œuvre, grâce aux voyages de Sadate à Jérusalem, entre les deux pays.

Benny Lévy se méfiait un peu de moi. Le Nouveau Désordre amoureux que j'avais écrit avec Pascal Bruckner, me valait dans son réseau l'épithète (flatteuse) de «libidinal».

Et, pour ma part, je me demandais anxieusement dans l'avion ce que j'allais faire avec le chef historique d'une organisation maximaliste et sectaire.

L'improbable tandem du libidinal et du psychorigide a néanmoins tenu bon. Levinas que nous aimions déjà l'un et l'autre, que nous lisions avidement et dont nous ne tirions pas tout à fait les mêmes leçons, nous a permis de surmonter nos préjugés mutuels sans pour autant combler la distance qui nous séparait.

Celle-ci s'est même accrue avec l'évolution de Benny Lévy. Il étudie les Ecritures et leurs commentaires; quel qu'ait pu être, par ailleurs, mon propre parcours, je souscris sans réserve à l'exégèse délicieusement laïque que propose Saul Bellow de l'expression «Heureux comme Dieu en France» naguère employée par les juifs d'Allemagne et d'Europe de l'Est: «Dieu serait parfaitement heureux en France parce qu'il n'y serait pas dérangé par les prières, rites, bénédictions et demandes d'interprétation de délicates questions diététiques. Environné d'incroyants. Lui aussi pourrait se détendre le soir venu, tout comme des milliers de Parisiens dans leur café préféré. Peu de choses sont plus agréables, plus civilisées qu'une terrasse tranquille au crépuscule.»

Mais pour des raisons qui n'ont rien de psychologique, l'amitié a survécu à la distance.

Benny Lévy, en effet, n'a pas fui la problématicité du monde dans l'obéissance et la prière. La certitude n'est pas son lot, ni le fanatisme souriant ni la sagesse définitive.

Ce qui le caractérise, au contraire, c'est la rigueur, l'intensité, la véhémence même du questionnement.

Et - faut-il le préciser? - il pratique les règles de l'argumentation, non l'argument d'autorité. Timeo hominem unius libri: je crains l'homme d'un seul livre.

Or, s'il pense dans le sillage de Levinas que la Bible n'engage pas seulement la foi mais qu'elle est essentielle à la pensée, Benny Lévy n'est, en aucune façon, l'homme d'un seul livre.

A la manière de Ricœur, il s'efforce de tenir tous les livres ouverts devant lui. Et la phrase talmudique: les livres sont comme de la cendre ardente - une cendre qui devient flamme quand on souffle dessus - s'applique à son enseignement de la philosophie.

Voilà pourquoi, au lieu de mener, comme il eût semblé naturel, à la brouille définitive, notre désaccord a nourri une conversation tout à la fois intermittente et interminable.


Et, en mai 1997, j'ai tenu, à l'Ecole doctorale de philosophie de Jérusalem, un séminaire sur Hannah Arendt, la mal-aimée des Israéliens de tous bords.

Je ne cherche pas ici à me porter garant de l'homme en noir. Je dis simplement qu'il ne faut pas se tromper de combat.

La ligne de fracture passe aujourd'hui entre ceux, de plus en plus rares, qui continuent à faire le pari formulé en ces termes par Levinas:

«Ce qu'on dit écrit dans les âmes est d'abord écrit dans les livres»,

et ceux, toujours plus nombreux, qui ferment les livres pour philosopher à neuf, ou qui pensent que la science a réponse à tout, ou qui enfin, confortablement installés dans le relativisme, comme d'autres jadis dans le dogme, sacrifient la recherche de la vérité à la reconnaissance des identités et la grande énigme humaine au règne de l'équivalence.


C'est entre la vie de l'esprit et l'extase technique ou multiculturelle qu'il nous incombe maintenant de choisir.

Le Dieu de Bellow attendait certainement autre chose de la France que la persécution de la vie de l'esprit.

Libé
////
En renonçant à soutenir le séminaire de Benny Levy à l'Alliance française de Jérusalem, l'université Paris-VII se trompe de combat.

Benny Lévy, la foi de la philosophie

Par ALAIN FINKIELKRAUT
Alain Finkielkraut est philosophe. Dernier ouvrage paru: «l'Ingratitude» (Gallimard, 1999).

Le lundi 24 janvier 2000




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