Posted by Kurt, Anna-Lise, de l'observatoire de téléologie on December 01, 1999 at 06:12:09 PM EST:
Lorsque les téléologues sont venus sur ce site il y a un peu plus d'un an, ce site avait un peu plus d'un an. Ceux qui se sont déjà égarés dans une galerie d'art contemporain connaissent l'ambiance qui y régnait : un petit cénacle de vieux y papotait dans son jargon entendu, autour de quelques œuvres récentes alignées là en une poussive exposition. La modernité fanée et les aigres-doux sentencieux y étaient la routine, et ce qui était de loin le plus fascinant était le lieu lui-même, un petit bout de l'Internet, où tous ces vieillards n'en finissaient pas de s'extasier et de s'illusionner sur des trompe-l'œil apparemment infinis.
Les téléologues ont apporté la violence du ton et la violence du fond. Le creux aéropage les a traités à peu près comme les impressionnistes traitaient les dadaïstes vers 1918. Portés par leur vitalité, les téléologues ont donné, bien involontairement, un sens et une vie à ce lieu si approprié aux seuls jeux qui ralentissent le jeu. Eux contre tous, tous contre eux. Et c'est tout à fait logique.
Le seul débat qui ait jamais eu lieu sur ce site à la gloire d'un mort, est celui sur la question des téléologues. Personne n'y a débattu de Debord, de Marx, de Voyer ou de qui ou quoi que ce soit d'autre, et pour cause. Voyer, par exemple, qui y posait en diva postdebordienne incomprise (il y a la même distance de la célébrité à l'obscurité entre Debord et Voyer qu'entre Voyer et les téléologues) n'a évidemment rien de quoi débattre : pas de question ouverte, pas de pratique qui en découle. Chez Voyer on apprend qu'on peut critiquer Marx à l'aide de Hegel (et non pas les réconcilier comme le rêve un Bourtay), et non l'inverse, c'est une bonne nouvelle ; et on apprend que le revolver que l'ennemi laissait dépasser de sa chaussette, l'économie, était en plastique. Eh bien c'est encore une bonne nouvelle, et passons. Les téléologues, eux, ont posé une question, et ont laissé entrevoir les conséquences pratiques incalculables de sa réponse. Quoiqu'ils entendent journellement dire que c'est fumeux, une marotte, de la mystification, et mille autres relents d'ulcères impressionnistes, ce lieu ne parle que d'eux et de ce qu'ils ont dit depuis qu'ils l'ont dit. Si cela permettait de faire avancer la question, les téléologues n'hésiteraient pas à le dire : ce site est à nous seuls. D'ailleurs imaginez ce qu'il deviendrait sans eux : une galerie d'art contemporain.
L'insulte est le mode de discours de cet embryon de début de projet de débat. C'est bien la moindre des choses qu'une question qui insulte le monde ne fasse pas l'économie de l'insulte ad hominem. Ce n'est pas parce que les contradicteurs des téléologues se sont avérés un ramassis de falsificateurs et de calomniateurs, deux ou trois exceptions confirment la règle, que les téléologues insultent. C'est parce que la question des téléologues insulte le vieux monde que ses représentants d'ici, exposés comme dans une galerie d'art contemporain, deviennent falsificateurs et calomniateurs. Et, circonstance aggravante, les téléologues ne pratiquent pas le mépris a priori, comme c'était la coutume depuis plusieurs siècles dans les disputes théoriques : ils affrontent aussi bien les plus bas roquets que les divas postdebordiennes incomprises. C'est pourquoi ce lieu ressemble d'abord à un assez mauvais catalogue d'insultes.
Mais sous la mer des pavés, il y a le grain de sable de la question des téléologues. Les téléologues ne sont pas faciles à comprendre, pas faciles à lire, ce qui d'ailleurs conduit les plus faibles à les rejeter en affirmant que c'est du charlatanisme : on a beaucoup entendu cela au sujet des situationnistes, c'est certainement ce qui a été le plus dit des écrits de Voyer, et on a souvent entendu affirmer la même chose de Hegel. A cela il faut ajouter que les téléologues ont systématiquement été pris de haut, comiquement sous-estimés, et n'ont eu à faire qu'à des objections triviales, où les débattants étaient plus occupés à s'excuser de débattre qu'à réfléchir et à préparer leurs interventions. Il a évidemment été très facile de débouter ces ébauches, souvent réduites aux plus péremptoires affirmations. Les téléologues ne sont là que pour préparer le vrai débat de fond sur la question centrale, et en attendant que le vrai sérieux, le drôle, se manifeste, ils s'amusent à le provoquer par l'écho de la question préalable : tout a une fin ? ou non ?