Posted by TADZ on November 04, 1999 at 11:04:13 AM EST:
In Reply to: Qu'est-ce que la métaphysique critique ? (suite) posted by TIQQUN 02/99 on November 04, 1999 at 06:24:32 AM EST:
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: ACTE SECOND : "La Vérité doit être dite,
: le monde dût-il en voler en éclats" (Fichte)
: Pour autant, le geste de reconnaître l'oubli de l'Etre,
: et par là de sortir du nihilisme, n'est rien qui aille de soi, rien
: qui soit susceptible d'un fondement rationnel, il s'agit d'une décision
: morale. Non pas abstraitement, mais concrètement morale
: : car dans le monde de la marchandise autoritaire, où le renoncement
: à la pensée est la première condition "d'intégration
: sociale", la conscience est immédiatement un acte, et un
: acte pour lequel il est courant que l'on juge bon de vous affamer,
: soit directement, soit indirectement, par le gracieux office de
: ceux dont vous dépendez. Maintenant que toutes les instances répressives
: où la morale s'aliénait en moralité tombent en miettes,
: il nous est enfin donné de la connaître dans sa radicalité
: originaire qui la désigne comme l'unité des mœurs des
: hommes et de la conscience qu'ils en ont, et en tant que telle
: comme l'ennemi absolu de ce monde. Cela pourrait s'exprimer en termes plus
: tranchés de la façon suivante : on combat soit pour le Spectacle,
: soit pour le Parti Imaginaire; entre les deux, il n'y a rien. Tous ceux
: qui peuvent s'accommoder d'une société qui s'accommode si
: bien de l'inhumanité, tous ceux qui se trouvent déjà
: bien bons de faire à leur propre souffrance comme à celle
: de leurs semblables l'aumône de leur indifférence, tous ceux
: qui parlent du désastre comme s'il s'agissait d'un nouveau marché
: aux débouchés prometteurs - ne sont pas nos frères.
: Nous tenons leur mort pour un fait souhaitable. Nous ne leur faisons
: certes pas grief de ne pas s'adonner à la Métaphysique Critique,
: chose qui pourrait constituer, en tant que discours, un objet social déterminé,
: mais de refuser de voir son contenu de vérité qui,
: étant partout. excède toute détermination particulière.
: Nul alibi ne tient, face à un tel aveuglement ; l'aptitude métaphysique
: est la chose la mieux partagée au monde : "il n'y a pas besoin d'être
: cordonnier pour savoir si une chaussure vous va" (Hegel); refuser de l'exercer
: constitue, dans les conditions présentes, un crime permanent. Et
: ce crime. la dénégation du caractère métaphysique
: de ce qui est, a bénéficié d'une si durable et si
: générale complicité qu'il est devenu révolutionnaire
: de formuler les principes a priori sur lesquels se fonde toute expérience
: humaine. Il nous faut ici les rappeler, à la honte des temps.
: 1. Tout comme la maladie n'est manifestement pas la somme de ses symptômes,
: le monde n'est manifestement pas la somme de ses objets, de "ce qui est
: le cas", ou de ses phénomènes, mais bien plutôt un
: caractère de l'homme lui-même. Le monde n'existe en tant que
: monde que pour l'homme. Inversement, il n'y a pas d'homme sans monde,
: la
: situation du Bloom est une abstraction transitoire. Chacun se trouve toujours
: déjà projeté dans un monde dont il fait l'expérience
: comme d'une totalité dynamique et dont, partant, il a nécessairement
: une précompréhension, aussi rudimentaire fût-elle.
: Sa simple conservation l'exige.
: 2. Le monde est une métaphysique, c'est-à-dire
: que la façon dont il se donne de prime abord, sa prétendue
: neutralité objective, sa simple structure matérielle participent
: déjà d'une certaine interprétation métaphysique
: qui le constitue. Le monde est toujours le produit d'un mode de dévoilement
: qui fait entrer les choses dans la présence. Quelque chose comme
: le "sensible" n'existe pour l'homme qu'en rapport à une interprétation
: suprasensible de ce qui est. Evidemment, cette interprétation n'existe
: pas de façon séparée, elle ne se trouve nulle part
: hors du monde, puisque c'est elle qui le configure. Tout le visible repose
: sur l'invisibilité de cette représentation, qui fonde ce
: qui se donne à voir, et qui tout en dévoilant voile. L'essence
: du visible n'est donc rien de visible. Ce mode de dévoilement, pour
: imperceptible qu'il fût, est bien plus concret que toutes les abstractions
: colorées que l'on voudrait faire passer pour "la réalité".
: Le donné est toujours le posé, il tient son être d'une
: affirmation originelle de l'Esprit : "le monde est ma représentation".
: En leur fond, c'est-à-dire dans leur surgissement. l'homme et le
: monde coïncident.
: 3. Le sensible et le suprasensible sont fondamentalement le même,
: mais de façon différenciée. Oublier l'un des deux
: termes pour hypostasier l'autre a pour conséquence de les rendre
: tous deux abstraits : "destituer le suprasensible supprime également
: le purement sensible et par là la différence entre les deux"
: (Heidegger).
: 4. L'intuition humaine primitive n'est que l'intuition de la représentation
: et de l'imagination. La prétendue immédiateté sensible
: lui est postérieure. "Les hommes commencent par voir les choses
: seulement telles qu'elles leur apparaissent et non telles qu'elles sont
: ; par voir dans les choses non pas elles-mêmes, mais l'idée
: qu'ils s'en font" (Feuerbach, Philosophie de l'avenir). L'idéologie
: du "concret" qui fétichise selon ses différentes versions
: le "réel", "l'authentique", le "quotidien", les "petits riens",
: le "naturel" et autres "tranches de vie", n'est que le degré zéro
: de la métaphysique, la théorie générale de
: ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme
: populaire, son point d'honneur spiritualiste, sa sanction morale, son complément
: cérémoniel, son universel motif de consolation et de justification.
: 5. De toute évidence, "l'homme est un animal métaphysique"
: (Schopenhauer). Par cela, il ne faut pas seulement entendre qu'il est cet
: être pour lequel le monde fait sens jusque dans son insignifiance,
: ou dont l'inquiétude ne se laisse apaiser par rien de fini, mais
: éminemment que toute son expérience est tissée dans
: une étoffe qui n'existe pas. Voilà pourquoi les systèmes
: proprement matérialistes, de même que le scepticisme absolu,
: n'ont jamais pu exercer par eux-mêmes une bien profonde ni
: une bien durable influence. L'homme peut certes, durant de longues périodes,
: refuser de faire consciemment de la métaphysique, et c'est ainsi
: que le plus souvent il s'en arrange, mais il ne peut s'en passer tout à
: fait. "Rien n'est aussi portatif, si l'on veut, que la métaphysique.
: [...] Et ce qui serait difficile, et ce qui est même rigoureusement
: impossible, ce serait de n'avoir pas, ce serait que quelqu'un n'eût
: pas sa métaphysique ou du moins de la métaphysique... Seulement,
: non seulement tout le monde n'a pas la même, ce qui n'est que trop
: évident, mais tout le monde n'en a ni de la même sorte, ni
: du même degré. ni de la même nature, ni de la même
: qualité." (Péguy, Situations).
: 6. La métaphysique n'est pas la simple négation du physique,
: mais symétriquement son fondement et son dépassement dialectique.
: Le préfixe méta-, qui signifie aussi bien "avec" qu' "au-delà",
: n'a pas le sens d'une disjonction, mais d'une Aufhebung, au sens
: hégélien. Aussi la métaphysique n'est-elle rien d'abstrait,
: car elle est ce qui fonde toute concrétude ; c'est elle qui se tient
: derrière le physique et le rend possible. Elle "dépasse la
: nature pour atteindre à ce qui est caché en elle ou derrière
: elle, mais elle ne considère cet élément caché
: que comme apparaissant dans la nature et non indépendamment de tout
: phénomène" (Schopenhauer). La métaphysique désigne
: donc ce simple fait que le mode de dévoilement et l'objet
: dévoilé demeurent en un sens originel "la même chose".
: Aussi n'est-elle, dans son ensemble, rien d'autre que l'expérience
: en tant qu'expérience et n'est possible qu'à partir d'une
: phénoménologie
: de la vie quotidienne.
: 7. Les défaites successives que la science mécaniste n'a,
: depuis un siècle, cessé d'essuyer et de refouler, sur le
: front de l'infiniment grand comme de l'infiniment petit ont définitivement
: condamné le projet d'établir une physique sans métaphysique.
: Et il faut à nouveau, après tant de prévisibles désastres,
: reconnaître avec Schopenhauer que l'explication physique qui refuse
: de voir qu'elle a "en tant que telle, besoin d'une explication métaphysique
: qui lui donne la clé de toutes ses suppositions […] vient partout
: se heurter à une explication métaphysique qui la supprime,
: c'est-à-dire lui enlève son caractère d'explication".
: "Les naturalistes s'efforcent de montrer que tous les phénomènes
: même les phénomènes spirituels sont physiques, et en
: cela. ils ont raison : leur tort. c'est de ne pas voir que toute chose
: physique est également par un autre côté une chose
: métaphysique". Et c'est comme une prophétie amère
: que nous lisons ces lignes : "plus les progrès de la physique
: seront grands, plus vivement ils feront sentir le besoin d'une métaphysique.
: En effet, si, d'une part, une connaissance plus exacte, plus étendue
: et plus profonde de la nature mine et finit par renverser les idées
: métaphysiques, en cours jusqu'alors, elle sert d'autre part à
: mettre plus nettement et plus complètement en relief le problème
: même de la métaphysique, à la dégager plus sévèrement
: de tout élément physique."
: 8. La métaphysique marchande n'est pas une métaphysique
: parmi tant d'autres, elle est la métaphysique qui nie toute
: métaphysique et d'abord elle-même comme métaphysique.
: C'est pourquoi elle est aussi, d'entre toutes, la métaphysique la
: plus nulle, celle qui voudrait sincèrement se faire passer pour
: une simple physique. La contradiction, c'est-à-dire la fausseté,
: est son caractère le plus durable et le plus distinctif, elle qui
: affirme si catégoriquement ce qui n'est qu'une pure négation.
: Le nihilisme correspond à la période historique de l'explicitation
: de cette métaphysique, et de sa nullité. Mais cette explicitation
: doit elle-même encore être explicitée. Une fois pour
: toutes les autres : il n'y a pas de monde marchand, il n'y a qu'un point
: de vue marchand sur le monde.
: 9. Le langage n'est pas un système de signes, mais la promesse
: d'une réconciliation des mots et des choses. "Ses universaux sont
: les éléments premiers de l'expérience, ils ne sont
: pas tant des concepts philosophiques, que des qualités réelles
: du monde tel que nous l'affrontons tous les jours […]. Chaque universel
: substantiel tend à exprimer des qualités qui dépassent
: toute expérience particulière, mais qui persistent dans l'esprit,
: non pas sous la forme d'une fiction de l'imagination ni sous la forme de
: possibilités logiques, mais comme la substance, la matière
: dont notre monde est fait". D'où il suit que l'opération
: par laquelle un concept désigne une réalité désigne
: à la fois une négation et la réalisation de celui-ci.
: "Le concept de beauté comprend toute la beauté qui n'est
: pas encore réalisée ; le concept de liberté,
: toute la liberté qui n'est pas encore atteinte" (Marcuse,
: L'homme
: unidimensionnel). Les universaux ont un caractère
: normatif,
: c'est pourquoi le nihilisme leur a déclaré la guerre. "L'ens
: perfectissum est en même temps l'ens realissimum. Plus
: une chose est parfaite, plus elle est. (Lukacs, L'âme et les formes).
: L'excellent est plus réel, plus général
: que le médiocre, car il réalise plus pleinement son essence
: : le concept unifie bien une variété, mais
: il l'unifie en l'aristocratisant. La pensée critique est
: celle qui effectue la sortie du nihilisme à partir de
: la transcendance profane du monde et du langage. Pour elle le transcendant,
: c'est que le monde est, et l'indicible qu'il y a le langage.
: Une faculté de conflagration peu commune s'attache à la conscience
: qui parcourt son temps penchée au bord d'un tel néant. A
: chaque fois qu'elle trouva la langue pour se communiquer, l'histoire en
: conserva la marque. Il importe essentiellement de faire des efforts dans
: cette direction. Le langage constitue l'enjeu comme le théâtre
: de la partie décisive. "Il s'agira toujours uniquement de savoir
: si l'on peut réconcilier la parole et la vie, et comment." (Brice
: Parain, Sur la dialectique).
: 10. "L'impératif catégorique de bouleverser toutes les
: conditions où l'homme est un être humilié, asservi,
: abandonné, méprisable" (Marx), cela, seul une définition
: de l'homme comme être métaphysique, c'est-à-dire ouvert
: à l'expérience du sens, peut le fonder. Il n'y a pas
: jusqu'à ce lombric de l'intelligence que demeura Hans Jonas, tout
: au long de son existence qui n'ait manqué de le reconnaître
: : "philosophiquement la métaphysique est tombée de nos jours
: en disgrâce, mais nous ne saurions nous en passer ; aussi nous faut-il
: nous y risquer à nouveau. Car elle seule est capable de nous dire
: pourquoi
: l'homme doit être, et n'a donc pas le droit de provoquer sa disparition
: du monde ou de la permettre par simple négligence ; et aussi comment
: l'homme doit être afin d'honorer et non pas trahir la raison
: en vertu de laquelle il doit être... D'où la nécessité
: renouvelée de la métaphysique, qui doit par sa vision, nous
: armer contre la cécité." (Sur le fondement ontologique
: d'une éthique du futur.)
: 11. Soit dit en passant, la réalité est l'unité
: du sens et de la vie.
: 12. Tout ce qui est séparé se souvient qu'il a
: été uni, mais l'objet de ce souvenir se tient dans le futur.
: "L'esprit est ce qui se trouve, et donc ce qui s'est perdu" (Hegel).
: 13. La liberté de l'homme n'a jamais consisté à
: pouvoir aller, venir et s'occuper comme il lui plaît - cela convient
: plutôt à l'animal, que l'on dit alors, fort significativement,
: "en liberté" - mais à se donner forme, à réaliser
: la figure qu'il contient, ou qu'il veut. Etre signifie tenir sa
: parole.
: Toute la vie humaine n'est qu'un pari sur la transcendance.
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: On a pu, par le passé, traiter de semblables énoncés
: avec le mépris spécial et amusé que le philistin a
: toujours réservé aux considérations apparemment dépourvues
: de toute effectivité. Mais entre-temps, les métamorphoses
: de la domination leur ont conféré une concrétude désagréablement
: quotidienne. L'effondrement définitif et historique, en 1914, du
: libéralisme réellement existant a acculé la société
: marchande, pour maintenir la fiction de son évidence, pour
: se défendre des assauts révolutionnaires qui manifestaient
: dans tous les pays occidentaux l'incapacité du point de vue économique
: à saisir le tout de l'homme, et enfin pour assurer la reproduction
: abstraite de ses rapports, à coloniser dans l'urgence puis avec
: méthode toute la sphère du sens, tout le territoire de l'apparence
: et finalement, aussi, tout le champ de la création imaginaire. En
: un mot, elle a dû investir la totalité du continent métaphysique
: à la seule fin d'assurer son hégémonie terrestre.
: Certes, le simple fait que le moment même de son apogée, le
: XlXème siècle, ait été dominé non par
: l'harmonie, mais par l'hostilité absolue, et absolument fausse,
: des figures de l'Artiste et du Bourgeois, constituait en soi une preuve
: suffisante de son impossibilité, mais seuls les grands désastres
: dans lesquels ont baigné les premières décennies de
: ce siècle ont chargé son absurdité d'assez de douleurs
: pour que l'édifice entier de la civilisation en paraisse vaciller.
: La domination marchande apprit alors de ceux qui la contestaient qu'elle
: ne pouvait plus se borner à considérer l'homme comme un simple
: travailleur, comme un facteur de production inerte, mais qu'elle devait
: plutôt, pour qu'il demeure tel, organiser tout ce qui s'étendait
: à l'extérieur de la sphère stricte de la production
: matérielle. Quelle qu'ait été, à ce point,
: sa répugnance à cela, elle a dû imposer un brusque
: accelerando
: au processus de socialisation de la société et prendre
: en main tout ce dont elle avait jusque-là nié l'existence,
: tout ce qu'elle avait dédaigneusement laissé à "l'activité
: improductive", à la '"fantaisie privée", à l'art et
: à la "métaphysique". Dans l'espace de quelques années
: et sans résistance notable d'abord, la Publicité est entièrement
: passée sous l'arbitraire du protectorat spectaculaire - c'est un
: fait général que la poursuite d'offensives anciennes est
: rarement reconnue lorsqu'elles s'arment de moyens totalement nouveaux .
: L'interprétation marchande du monde ayant été démentie
: par les faits comme insensée, on entreprit donc de la faire
: rentrer dans les faits. La mystique marchande, qui postulait formellement
: et extérieurement l'équivalence générale
: de toutes choses, et l'échangeabilité universelle de tout,
: ayant été percée à jour comme pure négation,
: comme arraisonnement morbide, on résolut de rendre les choses
: réellement
: équivalentes, et les êtres intérieurement
: échangeables.
: La liquidation systématique de tout ce qui, dans l'immédiateté,
: recelait une transcendance (communautés,
: ethos, valeurs,
: langage, histoire) ayant dangereusement placé les hommes face à
: l'exigence de la liberté, on décida de produire industriellement
: des transcendances de pacotille, et de les trafiquer à prix d'or.
: Nous nous tenons à l'autre extrémité de cette longue
: veille de l'aberration. Car de même que c'est son
: échec qui
: a, par le passé, jeté les bases de l'extension à l'infini
: du monde de l'économie, de même l'accomplissement contemporain
: de cette extension universelle porte l'annonce de son effondrement prochain.
: Ce processus critique de réalisation de l'indigente métaphysique
: marchande a été diversement désigné par les
: concepts de "Mobilisation Totale" (Jünger), de "Grande Transformation"
: (Polanyi) ou de "Spectacle" (Debord) - pour l'heure, nous aurons plus volontiers
: recours à ce dernier concept, qui demeure indiscutablement,
: en tant que figure qui pénètre de façon transversale
: toutes les sphères de l'activité sociale et où l'objet
: dévoilé se confond avec son mode de dévoilement, de
: ces machines de guerre dont il nous plaît d'user -. Si la
: Figure ne se laisse pas déduire simplement de ses manifestations,
: étant elle-même ce qui les fonde, il n'est néanmoins
: pas inutile d'en noter au moins les plus superficielles. C'est ainsi que
: la réclame s'avisa, dès les années 20, et dans les
: termes mêmes de ses premiers idéologues, Walter Pitkin et
: Edward Filene, d'inculquer aux Bloom "une nouvelle philosophie de l'existence",
: de leur présenter la société de consommation comme
: "le monde des faits", dans le dessein affiché de contrecarrer
: l'offensive communiste. La production calibrée de marchandises culturelles
: et leur écoulement massif - le déploiement fulgurant de l'industrie
: cinématographique a sur ce point valeur d'exemple - se chargea de
: resserrer dans l'allégresse le contrôle des comportements,
: de diffuser les modes de vie adaptés aux exigences nouvelles du
: capitalisme et surtout de répandre l'illusion de leur viabilité.
: L'urbanisme se mit en devoir d'édifier l'environnement physique
: commandé par la Weltanschauung marchande. Le formidable développement
: des moyens de communication et de transport dans ces années-là
: commença à abolir concrètement l'espace et le temps,
: qui opposaient une fâcheuse résistance à la mise en
: équivalence universelle. Les média de masse amorcèrent
: dès alors le processus par lequel ils devaient peu à peu
: concentrer en un monopole autonome la production du sens. Ils devaient
: par la suite et comme en retour, étendre à la totalité
: du visible un mode de dévoilement particulier, dont l'essence est
: de conférer à l'état de choses en vigueur une inébranlable
: objectivité, et par là de modeler à l'échelle
: du genre un rapport au monde fondé sur l'assentiment postulé
: à ce qui est. Il faut encore noter que se multiplient à cette
: époque précise les premières mentions littéraires
: de la fonction répressive de la Jeune-Fille, chez Proust, Kraus
: ou Gombrowicz. C'est enfin de façon contemporaine qu'apparaît
: dans les productions de l'esprit la figure du Bloom, si reconnaissable
: chez Valéry, Kafka, Musil, Michaux ou Heidegger.
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