Posted by observatoire de téléologie on October 15, 1999 at 05:31:41 AM EDT:
2) La découverte du satellite Cobe
Le 23 avril 1992, George Smoot, astrophysicien à Berkeley, présente une observation du satellite de la Nasa appelé Cobe (Cosmic Background Explorer). Il s'agit d'une image réalisée à partir de millions de signaux thermiques captés par le satellite et provenant de cent cinquante mille milliards de milliards de kilomètres de la Terre ; puisqu'on peut traduire la distance en temps, et inversement, cela représente une image de ce qu'était l'Univers il y a quinze milliards d'années, soit trois cent mille ans après ce qui, dans la théorie officielle, est appelé le « big bang ». Toujours d'après cette théorie, c'est un moment où toute la « matière » est encore une sorte de « soupe chaude ». L'important de cette image sont des moirures rouge et bleu qui indiquent des différences de températures de l'ordre d'un trois-cents-millionième de degré centigrade. Ils signifient des différences de densité dans les « grumeaux ». Le refroidissement et l'expansion supposés de l'Univers vont grandir ces différences infimes jusqu'à devenir les galaxies dont on avait remarqué que la répartition dans l'Univers n'était pas homogène. La découverte du satellite Cobe, en montrant ainsi que cette hétérogénéité était déjà présente au moment le plus reculé observable, vérifierait la théorie du « big bang ».
Un nouveau saint suaire
La découverte de moirures sur une image qui représente l'Univers supposé trois cent mille ans après le big bang, signifiant en principe d'infimes mais certaines différences de température dans la soupe de particules à ce moment-là, n'a de réalité que dans les méandres de la dispute exégétique de congrégations adverses de la même croyance fondamentale. C'est la découverte d'une sorte de saint suaire qui déclenche une dispute théologique dans une pensée alourdie par plusieurs siècles d'évolution de ses dogmes, qui sont autant de contraintes dans l'expression, et sa corruption, qui en est la logique honteuse. Le grotesque inhérent au byzantinisme gagne ici visiblement les sciences exactes : il n'est plus nécessaire, lorsqu'un saint suaire est découvert, de se demander si le Christ a existé, si son cadavre a été emballé dans un suaire, si un tel tissu se serait maintenu si longtemps. La seule question, frénétiquement agitée, est de savoir ce que dit sur le Christ la forme décalquée dans le tissu. Lorsqu'une pensée sur la totalité, comme celle qui prend pour objet l'Univers, proclame essentiel un tel détail, elle a perdu sa vigueur et son désir, elle se rétracte dans ses rides.
Sans doute les astrophysiciens du monde entier discutent beaucoup entre eux de cette découverte, mais c'est devenu d'aussi peu de poids sur la problématique elle-même que lorsque des chômeurs discutent du chômage entre eux. Tant que les premiers ne descendent pas dans l'information dominante, et les seconds dans la rue, ce ne sont là au mieux que des débats préparatoires. Car la réalité d'une découverte n'a plus aujourd'hui son fondement dans l'objet de la découverte, comme dans la tradition positiviste, mais dans le milieu qui le réfléchit au monde. C'est un changement fondamental dans la pensée, et même dans la méthode des sciences positives, dont la découverte de Cobe est un exemple clé. Si la fusion thermonucléaire était un projet industriel qu'il fallait habiller de marketing, la découverte de Cobe a pour première cible son propre marketing qu'il faut habiller d'une preuve de concret. Car autant pour la fusion thermonucléaire l'idéologie était à masquer, autant la découverte de Cobe est elle-même affirmation idéologique, qu'il s'agit de mettre en avant, de faire adopter.
Les vrais débats scientifiques se mènent dans la presse quotidienne
En s'appropriant les enjeux des sciences positives, l'information dominante continue sa colonisation hégémonique de la pensée de notre temps. Et cette prise de pouvoir modifie fondamentalement la recherche scientifique. Car l'information fixe aujourd'hui le ton et la place de toute découverte, en tant que propriétaire exclusif de la publicité. Elle détermine sa valeur et sa validité, en tant que carrefour interdisciplinaire de la connaissance. Et elle influe sur les récompenses, et conséquemment sur les budgets et leur répartition, en tant que gardien de la morale, et monopoliste de l'apologie et de l'occultation. Le même « prêt-à-penser » dénoncé pour le plus récent arrivisme en sciences humaines, qui consiste à produire de la pensée aux ton, format, contenu attendus par l'information, commence logiquement à se répandre dans les sciences exactes. Les plus lucides « scientifiques » remodèlent non seulement la présentation, mais aussi le contenu de leur recherche, et donc leur métier, en fonction des contraintes inhérentes à l'information dominante : du spectacle, un discours complexe qui peut être décliné en simplification plausible et mémorisable, de l'enthousiasme naïf, du surprenant. Si, il y a peu encore, produire du « prêt-à-vulgariser » était considéré comme une monstrueuse corruption de l'éthique scientifique, cela devient maintenant son objectif. En effet, si l'information a pris possession du discours au point de se substituer à celui de l'humanité, il est légitime de soumettre à ce QG de la pensée humaine ces découvertes et travaux spécialisés, qui après tout se nourrissent aujourd'hui de la même organisation de la société qui a confié ou abdiqué la coordination de sa théorie à cette information. L'exactitude pointilleuse, l'indépendance née de la lutte contre l'obscurantisme religieux et le désintéressement fondé sur un idéal d'avenir n'existent plus qu'en apparence, à cause de l'excellente image morale qu'ils véhiculent dans l'apparence. Mais, comme dans la presse, où l'éthique est devenue un bouclier décoratif, le concept d'objectivité s'est délité dans sa propre immensité, et la critique a disparu dans son idéalisation. Aujourd'hui l'information dominante, dans ses règles comme dans ses bouffonneries et délires, oriente la recherche scientifique selon ses propres contraintes, mais aussi selon ses bouffonneries et délires. Non que la recherche scientifique ne s'en émeuve pas, même si c'est peu audible ; mais elle-même, depuis que la théorie des quanta a bouleversé ses propres présupposés au point de menacer son existence, a évité de questionner le sens du monde, a égaré son exigence d'universalité, et se soumet avec un conservatisme de petit emploi (inquiétude pécuniaire, humilité de spécialiste, souplesse courtisane) aux directives générales de l'information dominante.
La première dispute autour de la découverte de Cobe met donc en jeu des intérêts d'informateurs. Ce qui aurait été impensable il y a moins d'une vie d'homme, à savoir que l'analyse des comptes rendus de deux quotidiens d'information générale permet d'estimer une découverte scientifique, est pourtant aujourd'hui le mode d'observation nécessaire et suffisant. 'Libération' et 'le Monde', tous deux concurrents sur le marché rétréci de la presse non populaire, réfléchissent de manière exemplaire ce déplacement graduel et brutal de la priorité de la recherche scientifique. Le moment où l'on sert le « public » est un rituel essentiel, parce que ce « public » est censé ratifier les conséquences idéologiques et les distributions de places, plutôt sur le mode de qui ne dit mot consent que dans une expression claire et vigoureuse. Mais cette présentation, d'où les outils critiques sont aussi absents que les objets dangereux auprès des petites cages dans lesquelles on enferme les enfants, est aussi en concurrence avec toutes les présentations des autres faits, les plus divers. Ainsi, une découverte scientifique, par définition unique, devient interchangeable. C'est donc à l'informateur de rétablir cette unicité, mais il ne le fera pas par le contenu, mais par les techniques de mise en valeur qu'il a appris à maîtriser dans sa propre activité.
'Libération' a pris le parti novateur, colonisateur des sciences. La nouvelle de la découverte de Cobe y est annoncée le 25 avril 1992, qui est un samedi, et elle s'étale aux pages 2, 3 et 4 sous la rubrique habituelle « Evénement ». Comme 'le Monde', 'Libération' consigne d'ordinaire les nouvelles scientifiques des sciences exactes dans un cahier hebdomadaire appelé « Eurêka » et qui se trouve dans l'édition du mercredi. La découverte de Cobe est donc sortie, physiquement si l'on peut dire, de l'enclos réservé à la spécialité, pour gagner la concurrence avec toutes les autres informations imaginables : politique intérieure, extérieure, fait divers, de société, culture, catastrophe, qui toutes aussi ont leur enclos. La victoire de cette découverte ce jour-là n'a pas dû être facile, parce que le lecteur supposé est bien plus friand d'autres détails que scientifiques, là où ses lacunes sont moins évidentes. Le service scientifique a sans doute dû convaincre l'ensemble de la rédaction, et fournir des garanties sur la présentation de l'« événement » de ce jour, qui vaut deux, puisque le journal n'a pas d'édition le dimanche, ce qui cependant prédispose l'édition du samedi à des « événements » moins calqués sur le quotidien. La présentation de 'Libération' joue donc furieusement le spectacle, l'enthousiasme, et la surenchère dans le superlatif.
La marge de gauche de la page 2 commence en gros caractères par : « La plus grande découverte scientifique du siècle, si ce n'est celle de tous les temps. » Il y a bien un guillemet pour fermer mais aucun pour ouvrir la phrase, qui apparaît ainsi comme une vérité catégorique. Cette énormité est ensuite prêtée au « célèbre » astrophysicien Stephen Hawking . L'interview de la spécialiste nécessaire, Monique Signore du CNRS, en page 4, est encore intitulée « Une formidable découverte ». Qu'une découverte « scientifique » puisse disposer d'une surenchère aussi basique tient à deux graves glissements du contrôle de l'information : d'abord dans l'information même, personne ne critique un tel procédé de réclame, parce que chacun se réserve le droit d'en user au mieux de sa hardiesse, si le scoop le permet ; l'autre raison est autosuggestive : c'est parce que les chercheurs ignorent aujourd'hui où est l'essentiel qu'ils l'exorcisent en criant essentiel, essentiel. Si personne ne proteste, cela deviendra vraiment l'essentiel.
Le titre et le sous-titre de 'Libération' sont des assertions si effrontées qu'on peut affirmer qu'il y a tromperie consciente : « Les graines de galaxies qui expliquent l'Univers » ; « Un satellite de la NASA a transmis des indications capitales sur l'origine de l'Univers ». En effet, la découverte de Cobe n'explique l'Univers et, plus exactement, ne transmet d'indications sur son origine que dans la théorie du big bang. 'Libération' trompe le profane en lui présentant le big bang comme certitude, et l'amateur éclairé en induisant que la découverte de Cobe prouverait le big bang. Si l'on ramène la recherche scientifique à une enquête policière, la découverte de Cobe est celle, près du cadavre, d'un mégot d'une certaine marque, justement la marque du principal suspect. Et le « célèbre » inspecteur Hawking, amplifié par 'Libération', conclurait : « C'est la découverte criminelle du siècle, sinon de tous les temps. »
'Libération' va aussi présenter l'opposition à cette découverte, mais sa mise en scène de la partie la moins enthousiaste de la communauté scientifique, les grincheux, les récalcitrants, va au contraire confirmer les superlatifs. Remarquons au passage que toute opposition à une découverte se recrute encore exclusivement dans la spécialité de cette découverte, ce qui ne durera plus très longtemps. C'est une performance technique devenue assez courante dans l'information que de présenter une opposition uniquement pour éviter le reproche « démocratique », objectiviste, de ne pas l'avoir fait, mais de telle manière que cette opposition plaide en faveur de la thèse du média qui recourt à ce procédé. Au fond de l'article principal, ce passage un peu délicat est d'abord précédé du tapis de fleurs d'une nouvelle volée de louanges sans bornes : « La performance des équipes regroupées autour de la NASA est saluée par tous les spécialistes », c'est-à-dire que ceux qui ne la saluent pas sont donc des charlatans. Suit l'énumération de quelques spécialistes : « »Découverte majeure du siècle", selon Joël Primack de l'université de Californie à Santa Cruz, "incroyablement importante", pour Michael Turner de l'université de Chicago. » Le premier bémol ainsi préemballé est lui-même crypté : « Tandis que le professeur Rowan-Robinson, de l'université de Londres, rappelle tout simplement l'enjeu : "Si Cobe n'avait pas trouvé ces ondulations de matière, cela aurait plongé les théoriciens dans le désarroi.« » Il faut lire : si Cobe n'avait pas trouvé, si l'inspecteur Hawking n'avait pas fini par dégoter ce mégot, c'était la paille pour tous ceux qui étaient sur l'affaire. Sous-entendu : ça tombe vraiment bien pour tous ces théoriciens, ça tombe même si bien qu'on se demande d'où ce mégot vient vraiment.
Le second bémol est l'amplification du premier : « Certains émettent toutefois quelques réserves. Comme l'astronaute britannique Arnold Wolfendale : "Nous ne voudrions pas d'une autre fusion froide", explique-t-il, faisant référence à cette fausse découverte annoncée à la une des quotidiens américains en 1989. "La communauté scientifique doit examiner les données avec soin avant de claironner leur importance.« » On admirera ici le concentré de toupet de 'Libération' : il y a eu des fausses découvertes, d'accord, mais nous le savons puisque nous le disons, donc celle-ci n'en est pas une ; se jeter comme ça sur le poisson trop frais, c'est bien un truc d'Américains, mais nous, puisque nous ne craignons pas d'en faire état, pensez-vous que nous pourrions claironner une nouvelle qui s'avérerait fausse ? 'Libération' prouve dans les faits que Wolfendale n'y est pas du tout : il faut claironner avant de vérifier. Pour le scientifique, si une découverte est infirmée, c'est le ban de la communauté, mais si elle est confirmée, c'est le Nobel ! Il faut bien risquer quelque chose pour la récompense suprême ! Beaucoup de chercheurs l'ont compris aujourd'hui où les trucages de résultats se multiplient, et où, comme dans le dopage des sportifs, ce qui compte c'est de ne pas se faire attraper. Pour les journalistes, s'il n'y a rien au bout comme un Nobel, il n'y a absolument aucun risque à publier une fausse découverte. C'est le spectacle de l'annonce qui paie. Si la découverte est confirmée, on pourra, lors d'un nouveau spectacle, se féliciter d'y avoir cru vite et fort ; s'il est infirmé, ce ne sera pas la faute du journaliste, qui posera alors en profane abusé. Par conséquent, l'information pousse de plus en plus les chercheurs aux effets d'annonce. C'est une complicité entre deux carriéristes, le chercheur et le journaliste, où le second devient de plus en plus le commanditaire du premier, mais sans jamais partager la responsabilité du risque. Le 17 juin de la même année, sous l'admirable jeu de mots « le Cobe Boy du Big Bang », 'Libération' nous livre la suite de cette logique. C'est une interview de George Smoot, dont la qualité de nobélisable est lourdement suggérée. Donnant donnant : on n'obtient le Nobel que soutenu par les médias, mais on n'interviewe le nobélisable qu'en assurant, trois couches de pommade, combien il le mérite.
Au 'Monde', on a donc lu 'Libération' le sourcil froncé. Et le service préposé aux sciences exactes a choisi l'attitude inverse. Quatre jours plus tard, dans l'enclos que le journal réserve à cette spécialité, sans pression de l'extraordinaire, paraissent, tout de même à partir de la une, les articles rapportant la découverte de Cobe. 'Le Monde' a adopté une position Wolfendale, même un peu au-delà. « Les conditions de cette découverte, et le contexte dans lequel elle intervient, devraient pourtant inciter à la prudence. Sans même évoquer l'affaire de la "fusion froide" [là on renchérit directement sur l'article du confrère], on pense immédiatement à la détection récente de planètes à l'extérieur du système solaire par des chercheurs anglais, tout aussi renommés et respectés que ceux qui travaillent sur les données de Cobe, sous la direction de George Smoot. Là aussi, en travaillant aux limites des instruments, on avait trouvé ce que tout le monde attendait. Mais il s'agissait d'une erreur de calcul. » La remise en question de la méthode qui oblige pour ainsi dire les chercheurs à trouver ce qui est prévu, et rien d'autre, et dans les temps, n'est effleurée ici que comme précédent exceptionnel. « Les résultats de l'équipe de George Smoot doivent donc être confirmés. En attendant, estime James Lequeux, de l'observatoire de Meudon, "c'est une donnée cruciale pour expliquer la formation des galaxies. Une preuve très importante que l'on cherchait depuis longtemps. Mais ce n'est pas la découverte du siècle, simplement une découverte secondaire, très importante certes, mais moins que celle du rayonnement cosmologique enregistré par Penzias et Wilson en 1965 . Il est trop tôt pour dire quels modèles théoriques devront être abandonnés à la suite de cette découverte, mais la carte de la distribution de ces excès de matière me laisse rêveur, parce qu'elle paraît organisée. Je ne sais pas trop quoi en dire aujourd'hui, mais c'est extraordinaire...« » Evidemment : comment la découverte d'un indice qui peut confirmer une théorie serait-elle plus importante que la découverte de l'ensemble de cette théorie ?
Mais Lequeux introduit surtout une dispute sourde, sur le fond, et c'est là que 'le Monde' prend parti, avec un discours tout aussi spécieux et feutré que son concurrent, ce qui ne permet pas au profane de décoder ce dont il s'agit. En effet, tous sont d'accord avec Wilson et Penzias ; il existe plusieurs « modèles » de la théorie du big bang : « inflationniste », « dissipatoire », « univers parallèles », « divin » (ou « créationniste »), etc. Or la découverte de Cobe donne raison au modèle « inflationniste », que 'Libération' soutenait au point de ne même pas laisser entendre qu'il en existerait d'autres. Les chercheurs qui ne soutiennent pas le modèle inflationniste ont donc accueilli avec applaudissements glaciaux et scepticisme plus ou moins contenu la découverte de Cobe. Que la carte de la distribution de matière laisse rêveur « parce qu'elle paraît organisée » signifie à ce point-là, ça sent le bidonnage. Et terminer en disant « c'est extraordinaire » est à prendre comme une ironie au vitriol : je ne serais pas surpris que sur le mégot le sergeant Smoot ait identifié les empreintes du principal suspect. Extraordinaire, non ? Bien entendu, tant que la diffamation reste un délit, 'le Monde' reste allusif dans sa désapprobation.
Mais c'est aussi parce que le monde reste allusif dans sa désapprobation. Même les non-inflationnistes ont intérêt à approuver une découverte, parce qu'une découverte entraîne des crédits non seulement pour les découvreurs (« Toute revigorée par ce succès, après Hubble et sa triste myopie, la Nasa aurait décidé d'accorder à Cobe un an et demi de service en sus. Au moins »), mais aussi pour leurs concurrents malheureux, qui réclament d'autant plus qu'il leur faut combler leur retard. Parce qu'elle met en cause les rémunérations et les emplois de la recherche, et parce que les rémunérations et les emplois sont de plus en plus l'objet même de la recherche, la critique est prohibée. Même une conclusion loufoque est aujourd'hui admise si ses partisans sont suffisamment nombreux, et le loufoque, tendant par exemple vers la science-fiction, plaît à l'examinateur qu'est l'information dominante. Démasquer un faussaire, l'exclure de la communauté scientifique, devient aujourd'hui très difficile, car il faut l'unanimité ; sinon, la réprobation polie, le sous-entendu dubitatif, l'appel à la prudence valent comme intention de critique, mais à l'abri du décodage du public. Ainsi, l'enthousiasme improbable de 'Libération' et la réserve fielleuse du 'Monde' sont les deux faces d'un même « scientifically correct », où les réajustements restent possible : 'le Monde', en novembre 1993, admettra la découverte de Cobe comme numéro 1 des découvertes en astrophysique depuis 1982 inclus.
La théorie du big bang dans le monde où l'information domine la théorie
Ce différend dans l'information dominante au moyen des arguments de la recherche contribue principalement à accréditer le big bang en entier. Jamais un système de croyance n'a été mieux conservé qu'autour de sa scission : ainsi le christianisme dans la dispute entre catholiques et protestants, ainsi le monde de la guerre froide, préface à la société de communication infinie, entre capitalisme libéral et capitalisme d'Etat, ou entre spectacle concentré et spectacle diffus. Les divisions sur les modèles de big bang placent le big bang au-dessus du débat, hors de la critique. Et chaque découverte, argument de l'un des « modèles », se présente d'abord comme preuve implicite du big bang en entier.
Pourtant, même dans la « communauté » scientifique, personne ne songe à nier les lacunes gigantesques de ce système de croyances. La plus flagrante, par exemple, est l'absence inexpliquée de 90 à 95 % de la matière, absence que la rhétorique de cette communauté maquille dès sa dénomination en l'appelant « matière noire ». Et, entre autres nécessités pour parvenir à une cohérence minimum, il manque un introuvable sixième quark, et une explication rationnelle des ruptures de symétrie (par exemple entre électromagnétisme et interaction faible), qui a elle aussi un nom anticipé, le boson de Higgs. Ainsi, sur cette vision en construction flottent des hypothèses dont la vérification est tellement désirée que leur nébuleuse fantasmatique apparaît déjà dans les armures de la certitude, étendards au vent.
Mais les interrogations de ces chefs de chantier face aux armatures branlantes et au plan improbable sont dérisoires à côté de celles des profanes, qui sans être hostiles ne sont pas encore en sciences exactes - où on leur a appris qu'il fallait vérifier - les consommateurs dociles qu'ils devraient être. Qu'est-ce qu'il y avait avant le big bang ? Qu'est-ce qu'il y a autour de l'Univers en expansion ? Pourquoi, à un moment donné, l'explosion initiale a-t-elle eu lieu ? Si c'est de l'énergie qui s'est transformée en matière, qu'est-ce qui a motivé cette transformation ? Si cette énergie vient du vide, est-ce encore du vide ? Enfoncés dans leur quête du Graal, nos théoriciens du big bang ne posent plus ces questions, et n'y répondent pas ; les plus honnêtes, non sans désinvolture, avouent seulement en haussant les épaules qu'ils n'en savent rien.
(A suivre.)