Posted by Aquaholic anonymous on October 13, 1999 at 08:41:02 AM EDT:
Le domaine visionnaire est la préoccupation centrale du travail cinématographique de Hans Richter .Le début du film Reves à vendre (Dreams that Money can Buy),réalisé entre 1945 et 1947,met en scène un homme (incarné par l'acteur Jack Bittner)qui s'aperçoit soudain qu'il détient un étrange pouvoir:il peut,dans son oeil,voir le spectacle de son reve,de son intériorité,de son subconscient.Il a la capacité de voir ce que les autres ne voient pas .C'est le "poète qui peut voir dans les yeux de tout le monde.Il peut voir ce qui se passe dans leur subconscient ,dans leur ame."
L'affirmation est implicite .C'est dans l'oeil que les reves sont vus.L'oeil ouvre un domaine qui resterait inaccessible sans lui.Le discours se montre inapte à restituer la vision dans sa spécificité et reste donc un médiocre moyen pour un certain contact avec l'ame.Il n'est pas ,dés lors,pas étonnant qu'en celà Hans Richter se heurte à André Breton pour qui la voie par excellence est le langage poétique,dans l'expression littéraire.
Le film Reves à vendre est consacré à l'expression que va mener le "poète"richtérien aprés la découverte de son pouvoir.Comme il a un local ,il affiche aussitôt sur la porte le titre du film:on peut venir chez lui acheter des reves,le client s'y voit ouvrir l'accés à l'univers visionnaire .Les reves,les visions,que met en scène Hans Richter par l'artifice de cet enchainement filmique ,sont inspirés par ses" vieux amis de la regretté europe ",refugiés en Amérique durant la domination hitlérienne:Marcel Duchamp,Fernand Léger,Man Ray,Max Ernst et aussi l'américain Sandy Calder .
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Dans l'épisode qui concerne la vision de Sandy Calder,sont filmés les sculptures mobiles et le célèbre
Cirque .Le poète-marchand de reves a été agressé et enfermé par un gangster qui l'a détroussé.Entre dans le local un veillard aveugle accompagné de sa petite-fille.Le grand-père sculpte,tordant un fil de fer avec une pince .La fillette qui l'accompagne joue à la balle,puis s'amuse avec des jetons de loto ronds.A un moment ,un jeton lancé par l'enfant reste en l'air et la caméra,qui remonte pour le chercher ,découvre à sa place l'univers des Mobiles.Sous le regard de la caméra,ou plutot de l'enfant,les choses s'animent.Nous voyons une sculpture suspendue en l'air et tournant sur elle-meme .Le mouvement de son ombre donne une apparence aberrante à l'ensemble de la construction.Notre regard est floué par le mouvement qui aboutit à un paradoce topologique: Le spectacle qui se déploie devant nos yeux est celui d'une réalité irréductible à toute logique constructive logique.
Dans le film,aprés cette séquence ,le marchand de rves est délivré,et c'est pour assister au reve de l'aveugle qui lui dit,d'un ton pensif:"des reves,j'en ai tant..."Son reve,à l'artiste n'y est pas seul.Il partage son pouvoir avec certains de ceux auxquels la société ne prête pas beaucoup d'attention.dans ce cas il s'agit d'une fillette qui joue et d'un pauvre aveugle.Il faut remarquer que là où André Breton affirme, Hans Richter dé-montre.La démonstration qu'il met en place est une expérience d'une rare efficacité,
à condition de la vivre avec attention.Elle se déroule tout au long de ses films .chaque étape,presque chaque séquence apporte un élément à l'ensemble .Ainsi,peu à peu,s'opère l'exploration qu'il a menée sa vie durant et qui confirme l'existence ,en face du langage ,de ce domaine qui lui est irréductible,celui de la vision.
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Bien des réalités,bien des connaissances échappent aux civilisations qui ont fondé leur seule approche de l'Etre sur le verbe ou sur l'image mimétique,répetant l'apparence .Pour le visionnaire l'essentiel est ailleurs.Et bien sûr,une analyse écrite ne peut transmettre les résultats de l'aventure filmique visionnaire ,mais il reste à l'écriture la capacité de transcrire les conditions de l'expérience et indiquer les points visuels culminants.