Nos buts et nos méthodes sur l'Internet


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Posted by observatoire de téléologie on March 14, 1999 at 03:49:34 AM EST:









Nos buts et nos méthodes sur l'Internet




Après la dissolution de la Bibliothèque des Emeutes, en continuer la diffusion et le discours a aussitôt semblé primordial aux survivants. Les avantages de l'Internet ont vite paru incontournables : simple d'accès, diffusion rapide, ubiquité, peu coûteux pour nous éditeurs et possibilités de proposer des textes gratuits. Ce ne sont là que des avantages de diffusion. Mais, même en terme de diffusion, il y a d'importants inconvénients. La gratuité sur l'Internet produit apparemment les mêmes effets que la gratuité dans l'édition : une qualité de lecture médiocre. Il suffit de surfer sur les chat rooms pour constater la pauvreté consternante de ceux qui s'y expriment. Les normes du message à deux lignes, de la politesse sans respect et de la plaisanterie type undergraduate y sont la loi conformiste du milieu. Quand les pauvres paient ce qu'ils lisent, ils respectent davantage ce qu'ils lisent. C'est pour cela aussi que les pauvres sont pauvres. Lorsque les pauvres devront payer pour discuter, nul doute qu'ils prendront davantage garde à ce qu'ils disent et entendent que lorsqu'ils discutent seulement de devoir payer. Nous croyons fort rares les exceptions à ce comportement qui respecte mieux la marchandise que ce qui la combat, mais comme les exceptions jouent un rôle important dans notre présence sur l'Internet, nous les appelons une première fois à la rescousse ; et nous pratiquons la gratuité, autant que cela est possible.

L'autre grande limite de l'Internet est son public. Accéder à l'Internet ne coûte presque rien, mais à partir de certaines conditions seulement, qui, elles, coûtent des choix de vie. Il faut un ordinateur, un modem, un provider qu'il faut régler mensuellement, et il faut donc l'accès aux conditions de cette installation, il faut aussi un minimum de pratique, ce qui se résume en un double coût, en temps et en argent. La frontière entre ceux qui réunissent actuellement ces conditions et ceux qui ne les réunissent pas est quasi géographique : centres-villes et banlieues middle class sont sur l'Internet ; les derniers quartiers ouvriers, les banlieues gueuses et les bidonvilles n'y sont pas. Cette ligne de démarcation est encore plus nette que pour le lectorat des librairies, qui la recoupe, avec cette différence symptomatique : en librairie on peut voler, sur l'Internet on peut au mieux escroquer. L'Internet est en ce moment comme la littérature entre la fin du XVIIe siècle anglais et le milieu du XIXe dans toute l'Europe, un défouloir de la classe moyenne où règne une ambiance de jeunesse enthousiaste, dont la cacophonie est prise pour de la liberté, parce qu'on y est encore à jacasser en s'extasiant de son propre écho, et pas encore à écouter. Mais ceux qui ont le volume sonore le plus puissant commencent à comprendre qu'il suffit de tourner le bouton du son pour faire taire le parterre. Cette ligne de fracture est la même que celle qui, depuis la défaite des gueux dans le monde en 1991-93, est le devant de la scène de l'ensemble de la société : la haute middle class, les gestionnaires de l'Etat, de l'information et de l'entreprise marchande luttent pour dépouiller la basse middle class de ses libertés datant du règne de la bourgeoisie. Et la basse middle class lutte pour éviter de tomber dans la gueuserie qui est son cauchemar. Une telle situation ne peut pas durer. La basse middle class sera probablement réduite au silence au moment où les gueux envahiront l'Internet, plus certainement contraints et forcés d'en consommer une application de masse que par subversion ou par colère.

Pour l'instant, la liberté relative d'interjeter qu'a encore la basse middle class sur ce réseau dépend des intermédiaires qui s'en partagent la gestion, qui font eux-mêmes le plus souvent partie de la basse middle class (mais de la fraction qui lutte, elle, pour arriver dans la haute middle class). Les hébergeurs de site et les providers se comportent comme des imprimeurs, alors qu'ils ont aussi des prérogatives de diffuseurs, de libraires et même d'éditeurs. Une partie de l'offensive combinée de l'Etat et des grandes entreprises gestionnaires de la marchandise est de vouloir leur faire endosser la responsabilité de ce qu'ils publient et diffusent. Tout porte à croire que ce nouveau boudoir où l'on philosophe est d'abord un enjeu marchand, et que sa fonction policière de stockage de données y est moins importante que son opportunité à vendre des plaisirs middle class, parce que la fraction étatique de nos ennemis n'a pas d'objectifs précis et définis sur le monde et que l'immensité des informations qu'elle possède n'est donc pas encore organisée dans un but. Mais si la menace policière est mineure, il faut constamment la garder à l'esprit et songer qu'elle n'est mineure que pour l'instant. Nul doute qu'il faudra en observer les développements lorsque l'obligation d'être sur l'Internet pour certaines professions, et pour des raisons de statut social, ne sera plus vécue comme un bienfait gigantesque : elle risque d'entraîner des gestes d'humeur, avant-coureurs de ceux des autres pauvres modernes qui seront contraints d'y venir à leur tour.

L'Internet est un média. Nous connaissons les médias pour leur occupation d'une position centrale dans le dispositif destiné à conserver cette société. Ce nouveau média, qui ressemble par son importance à la télévision naissante face à la presse, n'est encore qu'une extension mal maîtrisée des médias dominants. Il ressemble aux mouvements des radios libres d'il y a vingt ans dont la suspecte semi-liberté n'avait duré que quelques dizaines de mois, à cela près que ces radios "libres" étaient une petite partie des médias existants, alors que l'Internet apparaît comme aussi gros que l'ensemble des médias existants. Sa fonction de diviseur est donc, dans une époque de peu de révoltes, plus plausible que sa fonction d'outil de communication. Sa normalisation prévisible, par l'argent et dans l'idéologie, semble nous laisser peu de temps pour en prendre la mesure critique ; et comme nos alliés gueux n'y sont pas, c'est sur les exceptions de la middle class que nous comptons pour évaluer avec nous les risques de la récupération, que ne manqueront pas d'alourdir rapidement ceux de la répression. De sorte que lorsque les gueux y viendront, nous n'y serons peut-être déjà plus actifs, mais seulement stockés, voire même déstockés.

La théorie de la téléologie moderne est une théorie compliquée. Nous savons que nous sommes longs à digérer, et c'est logique parce que la portée de ce que nous affirmons sur le monde ne se digère pas en un seul festin. A vrai dire, nous savons que des personnes qui "ont vécu" ont peu de chances d'admettre ce que nous disons, parce que leur bonne foi se retournerait en catalogue de mauvais choix, et qu'il faudrait qu'elles rompent avec l'essentiel de ce qu'elles ont non seulement approuvé mais bâti. C'est donc à ceux qui sont en construction, dont l'horizon n'est pas encore essentiellement dans le rétroviseur, que nous demandons de nous enseigner ce que nous ignorons sur le ici et maintenant, et de critiquer ce que nous en disons. Non que nous soyons insensibles à la douceur des louanges, mais elles ne permettent que des songes, et c'est de réalité que nous voulons nous nourrir aujourd'hui. De plus, notre conception du monde, peut-être parce qu'elle est si complète, est pleine de lacunes, de pistes non explorées, de points de départs dans les ténèbres. C'est là que nous avons besoin d'être bousculés.

C'est donc d'une part pour sonder une ouverture différente, où nos optimismes flirtent sans doute un peu avec nos illusions, et d'autre part pour stocker un corpus en construction que nous proposons la théorie de la téléologie moderne sur un site Internet. Parallèlement, nous sommes aussi intervenus directement sur le site appelé "debord of directors". Nous sommes entrés dans ce petit salon postsitu en cassant les lustres et les vases Ming. Entre les empesées leçons de théorie sans réalité et les bons mots chuchotés à la volée, nous voulions surtout y indiquer que les faiseurs de ronds de jambe satisfaits n'avaient pas plus que nous de raisons d'y être tranquilles. Ce sont les vaincus d'un mouvement qui posaient en vainqueurs perpétuels. La génération battue entre 1968 et la révolution en Iran, qui a perdu son coffre et son souffle, a rejoint aujourd'hui le conservatisme du vieux monde en rénovant son discours dominant, et en tentant, comme chaque génération dépassée, d'étouffer ce qui la critique. Il était grand temps de signaler que la barricade est maintenant au-delà de ces quelques fossiles nostalgiques, et que l'excellence de leur négativité n'est, depuis longtemps déjà, que l'insuffisance par où nous avons commencé. Là où ils enculent les mouches nous sommes venus moucher les enculés.

Il a été comique de voir comment ces ruines incontinentes se défendaient avec ce qui les accusait : leur passé, leur petite notoriété. Un Tomas Kinder, au milieu de la polémique, a envoyé à celui d'entre nous dont il connaissait l'e-mail particulier un véritable curriculum vitae d'ancien combattant multirévolte qui commence en 1969, décroît après 1975 et s'arrête en… 1986 ! A une mise en cause directe sur le rapiéçage de détails élimés de la théorie maintenant très surfaite d'un Papy Voyer répondit un de ses anciens ouvrages de 1976 !

Sa carpette d'éditeur, qui tente de travestir ses grossières falsifications en spirituelles provocations, expose bien la vérité de ce micromilieu en imputant nos insultes à notre impuissance à rencontrer son idole, Papy Voyer. Or nous avons rencontré Voyer dans le seul cadre où il nous a jamais paru intéressant à fréquenter : ses textes de jeunesse. Pour le reste, il n'a toujours été qu'un pauvre moderne, comme nous. Les pauvres modernes ne nous intéressent que parce que nous aurions un projet à leur proposer en particulier, ou par affinité personnelle. Nous n'avons jamais eu de projets particuliers à proposer aux théoriciens du passé ; quant à l'affinité, les pauvres modernes sont si nombreux et si omniprésents qu'il faut être un véritable fétichiste de la célébrité pour tenter l'effort de rencontrer ceux qui ont un petit nom, même avant qu'ils soient devenus vieux, lâches et moches.

Comme l'indique la défausse perpétuelle de nos signatures, c'est une pensée que nous proposons et non des individus à fréquenter. Nous ne pensons pas être nous-mêmes intéressants à rencontrer, sauf si on nous propose des projets qui nous interpellent, ou quand le hasard est le maître de cérémonies. Pour notre discours, en tout cas, oublier nos personnes est la meilleure chance d'en faire une arme efficace. Nous voulions montrer à travers les Tomas Kinder, Papy Voyer et Charlot Que Dalle que les patronymes deviennent ridicules quand ils sont la principale autorité du discours, par l'usure du temps, et que la vanité des signatures et des individus appartient déjà à cette époque que nous espérons achever dans les plus brefs délais. Entendre traiter Adreba Solneman de monsieur, ou de Solneman, nous a toujours beaucoup fait rire.

Il a donc été facile, et amusant, de polémiquer avec ces perruques poudrées. L'issue n'était pas douteuse puisque nous avions un fond, et eux, qui ont brûlé le leur il y a longtemps, ne défendaient plus que leurs personnages. C'est cette question de fond que nous traitons quand nous appelons l'un dindon, l'autre truqueur et enculé, et quand nous montrons comment le troisième confond existence et réalité, commencement et origine, en un mot la communication formelle et son contenu. Et si ces nouveaux orthodoxes de l'extrémisme passé méritent qu'on les écrase au ping-pong, le ping-pong, comme la défense des paysans brésiliens ou le détail de l'histoire qu'est l'économie ne sont pas nos marottes. Dans ce que le monde a de riche, vivant et jeune, nous avons des alliances à construire, des éclairages à transmettre, des horizons à supprimer. Nous pensons avoir découvert de grandes urgences. C'est pourquoi nous recevrons toujours mieux des étudiants en rupture que des pourfendeurs d'étudiants encroûtés et satisfaits, ou que des ex-théoriciens essoufflés qui ne spéculent plus que sur la construction de leur postérité.

http://www.teleologie.org - mars 1999












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