monsieur You


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Posted by Yves Le Manach on March 04, 1999 at 10:21:14 AM EST:

Monsieur You,

L’idée de « centre du monde » n’est pas de moi. Inutile, donc, de me remercier. Surtout si c’est pour m’insulter ensuite.

La certitude absolue de l’infinité du monde et de son inachèvement, jointe à sa difficile compréhension, constitue l’une des plus crispantes agaceries qui tourmentent l’esprit humain.
Cependant, nous naissons et nous mourrons.
A moins de découvrir en soi une dimension qui nous fasse participer de l’éternité et de l’infini, j’admets qu’il s’agit de notions relativement abstraites pour des êtres dont l’espérance de vie dépasse rarement, dans nos régions et en moyenne, les 70 ans.
Après tout, vous avez peut-être raison, peut-être que le destin du monde est de finir.
Oui, mais quelle fin ?
Vous écrivez, à la ligne 8 de votre texte :
« Si Dieu, l’éternité (selon Kant), la communication infinie (selon Voyer) ne peuvent avoir de réalité, c’est donc qu’il faudra finir ; oui, mais quelle fin ? »
Vous écrivez, à la ligne 26 :
« Ce monde est à faire, à réaliser, à finir : oui, mais quelle fin ? »
Vous écrivez, à la ligne 51 :
« Ce monde est à faire, à réaliser, à finir : oui, mais quelle fin ? »
Chez vous les certitudes sont proches de l’ignorance.
Votre théorie d’un monde fini est loin d’être achevée, elle est toute théorique et ne semble pas prête à trouver sa vérité. Je conçois qu’on ne puisse répondre à tout, même à la question qui fonde, centralement, une théorie, mais dans ce cas un peu de modestie s’impose.

Vous vous plaignez de « la difficulté de mettre en débat la simple idée de finalité ».
Tout le monde ne possède pas votre implacable « rigueur intellectuelle ».
Mais quand même, vous êtes gonflé ! Si vous, qui prônez un monde fini, ne pouvez pas dire en quoi consiste la finalité, comment voulez-vous que ceux qui pensent que le monde est infini éprouvent le désir de débattre avec vous ? Comment osez-vous seulement avancer l’idée d’un monde fini ?
Toutes vos spéculations téléologiques resteront vaines tant que vous n’ébaucherez pas un commencement de réponse. Alors il sera possible de juger sur pièce.


Vous prétendez combattre « (…) ceux qui ordonnent du particulier au général et non l’inverse », et vous les qualifiez de « psy ».
Comme exemple d’inversion entre le général et le particulier, vous citez ma proposition de dissoudre le centre du monde (cette façon dont ils organisent notre vie) en changeant notre façon de vivre.
Si le prolétariat (les salariés, les chômeurs, les pauvres, les esclaves, etc.) doit abolir les classes et, donc, s’abolir lui-même en tant que classe, cela implique que chaque prolétaire en particulier, au travers de ce qu’il pense, de ce qu’il fait, de ce qu’il vit, s’abolisse lui-même en tant que membre du prolétariat.
Cela n’implique pas seulement qu’il visite teleologie.org., mais qu’il admette aussi qu’il est possible et souhaitable de vivre autrement. Qu’est-ce qui vous dérange dans cette proposition ? Le développement insuffisant des forces productives ?
Qui définit le particulier et qui définit le général ? Vous ? Dois-je comprendre qu’au nom de votre vérité inachevée vous contestez au particulier le droit de se forger sa propre conception du général ? Connaissez-vous quelque chose de plus général, pour l’homme, que la libre organisation de sa vie ?

Chacun combat pour ce qu’il pense lui manquer le plus.
Si je revendique la liberté individuelle d’exprimer ma pensée, d’être entendu et d’obtenir, éventuellement, une réponse (ce qui est le minimum de la communication), c’est parce que je rencontre des obstacles dans l’exercice de cette liberté.
Si vous n’éprouvez pas le besoin d’exprimer une telle revendication, c’est probablement que, dans votre bureau de chômage aussi bien que dans votre vie quotidienne, vous ne rencontrez pas de tels obstacles.
Tant mieux pour vous.
Vous affirmez être partisan d’un monde fini, un monde dans lequel la communication infinie (la liberté individuelle d’exprimer sa pensée) n’a pas de réalité.
J’en conclus que vous êtes contre la liberté individuelle d’exprimer sa pensée, que vous êtes partisan d’une communication répétitive et orthodoxe, d’une « non-pensée ».
Je ne vous comprends pas : au nom de quel principe vous permettez-vous de polémiquer ?

Je veux bien admettre qu’il existe une vérité générale qui transcende les vérités particulières, mais encore faut-il savoir en quoi consiste cette vérité et comment elle établit son règne.
Je pars du principe que chacun a la liberté d’exprimer sa pensée, ses doutes et ses vérités. Comme il existe des milliards d’individus, il existe aussi, potentiellement, des milliards de vérités qui sont toutes plus légitimes les unes que les autres.
Ce qui m’amène à relativiser la notion de vérité (qui est toujours individuelle et rarement permanente) et à accorder plus d’importance à l’organisation du débat (ce qu’on peut appeler le général) qui permet aux différentes vérités de se confronter.
La question que je pose n’est pas celle de savoir « oui, mais quelle fin », mais celle de savoir de quelle manière nous sommes organisés pour penser, pour débattre ou pour vivre. Non seulement dans une famille, une école, une usine, un bureau, un chantier, un bureau de chômage, un syndicat ou un parti…, mais aussi chez les téléologiens.
Comme quoi la question du centre peut très bien être une question de communication et d’organisation. J’admets que vous contestiez cela, mais à condition de rester poli.

Nous pensons notre vie et son organisation, notre monde, avec des signes qui peuvent êtres des odeurs, des couleurs, des formes… mais qui sont, essentiellement, des mots.
Nous pensons notre vie avec un langage. Ce langage n’est pas limité, il n’est pas fini ; si vous voulez finir le monde, il faudra aussi finir le langage.
Même si le langage n’est pas en lui-même la communication, tout en lui (la voix, la parole, les mimiques du visage, les gestes des mains, l’expression des yeux, les mots, les phrases, la syntaxe, la grammaire, l’orthographe, la ponctuation…) nous permet d’essayer de communiquer.
Un langage qui ne permettrait pas de communiquer ne serait pas un langage.
Nous pensons avec les instruments de la communication. Et même les entraves à la communication (la représentation politique, la subordination salariale, la téléologie…) sont pensées avec les instruments de la communication. A moins de tuer les gens.
Pour affirmer votre conviction d’un monde fini, un monde dans lequel la liberté individuelle d’exprimer sa pensée n’a pas de réalité, il vous faut malgré tout communiquer votre pensée, être libre.
Le refus de communiquer est déjà une manière de communiquer. A moins de tuer les gens.

Votre refus d’une communication infinie, vous la concevez (en fonction des limites de votre vocabulaire), dans l’intimité de votre pensée intérieure, et vous la concevez avec des mots. Pour rendre votre réflexion critique plus aisée, vous construisez (toujours intérieurement) un dialogue avec un interlocuteur imaginaire ou réel. Par exemple avec Voyer. Tout le monde procède de cette façon.
Penser dans l’intimité de sa conscience, avec des mots, qu’on est contre la communication infinie en imaginant qu’on polémique avec un interlocuteur qui est pour, c’est déjà communiquer indéfiniment.
Voilà une contradiction à laquelle vous devez répondre : pourquoi les gens qui contestent la réalité de la communication infinie doivent-ils dépenser une imagination infinie pour le faire savoir ?
Comment se fait-il que vous ayez échappé à un destin de protozoaires : se produire, se reproduire, bouffer, digérer, roter, chier et pisser ?
D’où vous vient cette faculté de vous opposer aux autres avec des mots ?

Vous prétendez que vous n’avez pas « l’ambition d’être le seul faiseur d’histoire ».
Pourtant vous me renvoyez aux émeutes de Birmanie, d’Afrique du Sud, de Somalie, d’Irak, d’Algérie, du Mali, du Zaïre, d’Albanie, d’Indonésie… comme s’il s’agissait d’une seule et unique réalité. Comme si, non seulement, les émeutiers de tous ces pays posaient tous la même question, mais comme s’ils posaient tous la même question que vous.
Les « émeutes » jouent dans votre système le même rôle fictif que la « nation » dans le système actuel. C’est le lieu d’une unité illusoire qui vous permet de parler tout seul au nom de tous.
En effet, vous ne vous gênez pas pour critiquer, insulter, juger, condamner…, bref, vous ne vous gênez pas pour affirmer votre personnalité.
Par contre, vous semblez trouver superflu de reconnaître aux autres ce même droit. Celui qui ne pense pas comme vous est « un psy », il « nage dans le délire », il « pense comme les pro-situs »…
Pensez-vous sérieusement avoir les arguments intellectuels suffisants pour nous convaincre tous du bien fondé de votre vérité personnelle ?
Sinon, que ferez-vous de ceux qui ne se laissent pas convaincre ?


Vous écrivez, à la fin de votre texte : « Si la vraie question (…) n’est pas née de théoriciens, et si elle tente de se théoriser, elle ne se résoudra qu’en pratique. »
Si de vraies questions peuvent naître sans le concours des théoriciens, nous pouvons légitimement nous poser la question de l’intérêt des théoriciens.
Pourquoi les vraies questions qui sont posées sans l’aide de théoriciens devraient-elles nécessairement se « théoriser » pour trouver une réponse pratique ? Je ne comprends pas le rapport que vous établissez entre le particulier et le général, je ne comprends pas non plus celui que vous établissez entre la théorie et la pratique. Après tout, poser la question, c’est déjà y répondre.

Vous dites que la vraie question « ne se résoudra qu’en pratique ».
Oui, mais quelle pratique ?

Bien amicalement.




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