Les postsitus, les nouveaux littérateurs et les Gênois de Göteborg :

LA BONNE PENSEE OFFICIEUSE


 

 

La glorification officielle de l'IS et de Debord a commencé peu de temps avant sa mort, dès qu'il a commencé à vendre (sa vie, son œuvre, ses Mémoires, son parti, sa parole). Le paysage intellectuel parisien s'en est trouvé davantage modifié que par un battement d'ailes dans le golfe du Mexique. Si la vieille intelligentsia rabrouée et conchiée n'ose toujours pas avouer qu'elle lisait ‘la Société du spectacle', évidemment en cachette, les deux branches qui chuchotaient leur soutien à Debord sous sa terrible chape de plomb, les postsitus modedevitistes (tendance voyou lettré) et les postsitus intellectuels (tendance lettré voyou), ont d'abord jubilé publiquement, soulagés de la mort du tyran que-rien-ne-justifiait-qu'on-traite-de-tel et du fait qu'on pourrait enfin tirer bénéfice d'un si beau stock théorique non encore véritablement exploité. Mais très vite on s'est aperçu non seulement que le trésor n'était pas si grand, mais que celui qui approuvait publiquement inversait sa position de révolté : l'IS et Debord devenant référence officielle, on ne garde plus sa négativité apparente en les soutenant. La situation du microcosme intellectuel aujourd'hui est donc la suivante : il faut taire le nom de Debord, ou alors le rabrouer et le conchier. Comme une telle attitude dépend de la mode et non de la critique, elle est amenée à changer rapidement. Nous espérons, sans trop d'illusions, que ce sera plutôt sous l'impulsion de la critique que sous l'impulsion de la mode.

Les situationnistes et Debord, en tout cas, semblent avoir su que ce qu'on appelle critique est essentiellement une révolte de rue, et ils se doutaient probablement que ces guerres, qu'on appelle critique, non seulement se décident là, mais souvent s'y conçoivent ; tout au moins tant qu'ils étaient jeunes, et que le syndrome du complot ne s'était pas encore substitué à leur bonne humeur. Il ne faut pas oublier que leur modedevitisme – cette apologie romancée de leur propre vécu – était d'abord une virulente critique de l'intelligentsia, dont la profession est d'écrire et de penser publiquement contre rémunération. Comme l'époque était de gauche, l'intelligentsia l'était aussi. La fesse gluante de sueur serrée devant la Remington, surtout à Paris, un petit milieu professionnel planifiait des révolutions, en attendant salaires et reconnaissance. On osait parfois rêver de postes ministériels comme ceux de Lukács et de statues comme celles de Lénine. En France principalement, depuis la réussite éclatante de Victor Hugo, la littérature était censée mener à tout. Les situationnistes, dont les mérites n'ont pas été si grands, ont au moins eu celui de vouloir ruiner cet arrivisme de la plume qui, particulièrement à Paris, ne s'est jamais exprimé avec plus de grâce que dans le cul. Cette intelligentsia avait été stalinienne jusqu'en 1968 et gauchiste dans les années suivantes. Stalinienne, elle ne pensait la révolte qu'organisée et préméditée par des fesses gluantes de sueur serrées devant des Remington ; gauchiste, c'est-à-dire en majorité léniniste, elle concédait une révolte dans la rue, mais y subordonnait toujours l'émeute obscure à la manifestation médiatique, les plaisirs éruptifs et ravageurs qui débouchent sur le pillage et le cassage de gueule de quelques journalistes à la solennité pompeuse de la protestation indignée en défilés de poings levés comme des moignons. Les bataillons serrés comme des fesses gluantes, casqués et bottés, leur ont toujours paru plus sérieux que des nuées d'adolescents imprévus et imprévisibles, qui ne chantent pas. Et ces moments doum-doum n'étaient que des preuves de leurs propres battements de cœur, de leurs discours résignés à la nécessité d'une police, et non pas l'inverse, leur cœur et leur discours devenant des preuves de ces perforations qui déforment et rendent inutilisables des défenses séculaires de l'étroitesse humaine.

Au printemps 2001, au moment où une génération inconnue au bataillon a pour la première fois tapé de son pied léger de Cincinnati à Addis-Abeba, en déposant son souffle neuf sur les terrains de bataille récemment usés de Tizi Ouzou (et Brixton !) et de Bradford (et Batna !), une nouvelle intelligentsia subordonne déjà cette jeunesse-là, qui lui est si hostile, à sa propre progéniture, aux fesses gluantes et serrées. De Göteborg à Gênes, où l'internationale des chefs d'Etat conférence sur le rien, mais sous siège, la progéniture de la middle class, étroitement enlacée par l'information dominante, antimondialise contre le même rien, sous le même siège. Il y a là cette étrange odeur, si dominante dans la littérature, une odeur d'enflure de rien, de merguez sauce Chiapas, de broutille grand-émoi, l'eau de toilette préférée des pleureuses sans larmes et des pétomanes de l'indignation pour l'indignation. S'il y a une bonne révolte dans la rue, une seule, c'est celle qui pimente les conférences de chefs d'Etat. On ne pourra plus dire que ce sont des conférences sur rien quand elles sont sous siège.

De l'émeute, c'est-à-dire de la révolte des pauvres dans la rue, c'est-à-dire de l'exclusion des médiateurs de tout discours dominant dans le débat, cette nouvelle intelligentsia a unanimement horreur, même si le dogme situationniste contraint à affirmer le contraire, comme jadis, du reste, le dogme marxiste. On entend donc dire (Mandosio, édité par l'Encyclopédie des nuisances) que l'émeute est principalement utilisée par l'Etat, et par là on essaie de montrer qu'on est désabusé, affranchi d'illusions vaincues ; on entend dire que jamais une révolte d'esclaves n'a changé le monde, ce qui est vrai, monde qui d'ailleurs n'aurait pas changé depuis Balzac (le falsificateur Voyer, théoricien de la résignation), ce qui est faux, parce que les gueux, qui depuis deux cents ans sont la seule cause du changement du monde, sont bien autre chose que des esclaves ; les émeutes, pas même au Swaziland ou en Papouasie, mais celles qui sont devenues des insurrections en Irak ou en Somalie, sont dénigrées avec un antitiers-mondisme mal digéré par ceux qui s'émerveillent de ces papillons du golfe du Mexique qui causent des cataclysmes ; cette intelligentsia, où les semi-lettrés sont aujourd'hui devenus majoritaires, voudrait aussi convaincre que seule LA théorie change le monde et que la révolte dans la rue n'est rien qu'une pusillanime vérification de LA théorie, mais condamnée d'avance, magnifique quoi, mais mieux vaut ne pas en parler, puisqu'on te dit que ça sert à rien, capisce ? En cela l'intelligentsia postsitue va plus loin que l'intelligentsia marxiste, qui depuis la création de la troisième Internationale espérait seulement cette déduction. Mais le semi-monde penseur d'aujourd'hui n'a pas de monde meilleur en vue. Comme toujours lorsque la révolte relâche sa pression sur l'époque, ce qu'on a pu constater depuis la mort de Debord qui n'y est pour rien, les valeurs conservatrices qui mènent à la considération et au salut dans une société qui redevient alors éternelle sont réhabilitées : carrière, renommée, fortune, recherche de la perfection de ce qui est là. Voyez l'arrogance bonnasse de ces scribes du régime (toutes les personnes en vie citées dans ce texte sont des scribes du régime) qui se croit affranchie de rendre des comptes parce qu'elle ignore même ce qu'est la réalité, dont elle a horreur. C'est dans la rue que finira cette irresponsabilité qui permet les petits mensonges.

D'une manière plus générale, cette attitude résignée face à la révolte exclut même de son spectre les happenings antimondialisation, non parce qu'il s'agit d'un nouveau concept de vacances pour jeunes de la middle class, mais parce qu'il s'agit de ramener le monde, et par conséquent sa critique, à cette intelligentsia. Une des frontières momentanées de ce néo-intellectualisme passe d'ailleurs entre le soutien et le rejet à l'antimondialisation. Mais dans cette négativité au rabais, les différends sont des poses, pas des choix. Il est donc assez courant de soupirer qu'il n'y a pas de révolte, tout en soupesant avec gravité et doigté les grandes avancées critiques de la néo-intelligentsia parisienne, pour laquelle le chatroom commence à remplacer le salon. Un excellent exemple est livré par un fossile, non encore internaute, de la période des Sartre, Barthes, Foucault et Breton vieux, Annie Le Brun. Dans son dernier ouvrage qui se termine par non, non, non, non, non, non, non, cette admiratrice tardive de Debord ne cite que deux exemples de révolte : le premier est la destruction des Abribus au printemps, qui n'est d'ailleurs évoquée que comme parallèle de la délinquance dans la culture, la destruction des Abribus étant la bonne délinquance face à la méchante délinquance des patrons de la culture : il faut être assez éloigné de ce que les urbanistes ont appelé le mobilier urbain pour penser que sa déprédation pourrait être saisonnière ; et, de la culture, il faut être un assez fervent usager pour se plaindre d'une corruption qui a gagné tout ce que les économistes appellent des secteurs d'activité. Mais le véritable extrême de la révolte pour Annie Le Brun c'est Unabomber, qui aurait allié, de manière un peu fruste sans doute, la théorie et la pratique, comme le préconisait, en somme, un Debord. Devant cette authenticité retrouvée, qui va si loin, on se demande alors pourquoi Annie Le Brun reste en retrait, ce qu'elle n'explique évidemment nulle part. Il devrait pourtant diable être à sa portée d'écrire un petit texte sur la dégénérescence du monde et de le faire suivre de quelques lettres piégées.

Ce n'est évidemment pas son avis sur la révolte qui fait l'intérêt principal d'Annie Le Brun, mais sa délimitation du domaine de la nouvelle intelligentsia. La culture y est toujours le centre du monde. La véritable critique de la société n'est pas bien sûr dans les Abribus et Unabomber, mais dans l'écrit. Ce qu'on peut vérifier dans le répugnant retour de la philosophie sur ses béquilles sociologiques et scienteuses, et même la littérature, où le menu fretin va jusqu'à penser que la poésie pourrait être encore de l'écrit, non sans en vouloir faire la preuve pratique, la fesse gluante serrée devant son Mac, a sorti le cul de sa poubelle, en trémoussant d'importance. Les littérateurs, en effet, ne voyant rien venir leur taper sur le groin, en concluent que c'est à eux qu'appartient la critique. Le cercle de cette négativité est donc encore limité, mais il y a déjà de nombreux postulants prêts à la relève. Esquisse, non limitative, d'une liste de ces crapauds de la bonne pensée contre la bonne pensée : Bouveresse et Bourdieu (réjouissant retour du Collège de France), Voyer, Muray, Nabe, Kacem, Houellebecq, Duteurtre ; et dans le cercle des références, on choisit volontiers celles qui sont les plus vierges de toute critique, comme Wittgenstein, voire Nietzsche et Schopenhauer, puis Hegel bien sûr. Notre papillon du golfe du Mexique, Debord (même en remake de Cravan), reste innommable, dans l'angle mort de la mode ; et les debordistes modedevitistes (l'Encyclopédie des nuisances qui vient de se renforcer de Riesel, Allia et son docteur Bounan, Martos et son courrier censuré) sont donc à la lisière de cette intelligentsia négative, un jour du bon côté de la critique en tant que continuateurs respectables de ce que Debord avait de respectable – à condition de ne pas citer son nom trop usé –, un jour dehors en tant que mainstream qui n'aurait rien compris à la véritable critique, celle qui se reconnaît par le fait de rabrouer et de conchier Debord. Quant aux debordistes intellectuels, comme les journalistes Sollers ou Viviant, ils ont perdu leur place dans la négativité de façade dont ils sont d'ailleurs devenus une cible qui n'est pas bien en danger. On commence aussi à réhabiliter l'intelligentsia gauchisante de l'après-68 : Sartre, Deleuze, Derrida et pourquoi pas Baudrillard, Virilio, Onfray et Bernard-Henri Lévy, après tout assez proches de cette nouvelle opposition qui se croit aussi radicale qu'il n'y a pas si longtemps l'ancienne.

Le pâturage de ce bétail qui grogne et qui rue n'est pas encore clôturé. On peut y entrer et en sortir assez librement. Au départ, il suffit d'être coopté. Et on a les meilleures chances du monde d'être coopté en s'étant fait remarquer opposant à un seul point capital de la bonne pensée de gauche, n'importe lequel. Tout comme un Daeninckx a fait carrière en dénonçant le prétendu antisémitisme de ses petits camarades, on est admis dans les réseaux de référence croisés de cette opposition à la filière de Daeninckx en prenant en marche les thèmes et les idées de cette bonne pensée officieuse, si courageusement en lutte contre la bonne pensée officielle. Tout ce qui prend à contre-pied, seulement de manière à donner l'impression qu'on a un pas d'avance, qu'on est affranchi, est chic : il est de bon goût de se moquer des anti-antisémites, des antiracistes, des antifascistes, des pédés militant et défilant, des rollers, des féministes, mais en crachant sur le machisme ; de vilipender les trotskistes (depuis que Jospin a été déclaré ex-trotskiste) ; d'affirmer que l'économie n'existe même pas, sans même être capable de dire ce qu'est exister ; de trouver amusant et populaire le porno en s'indignant de l'érotisme ; de révéler les vertus spirituelles voire « stratégiques » du sport ; de défendre (toujours défendre) la langue en militant fétichiste et pointilleux ; de défendre la logique formelle en militant féticheux et pointilliste ; de faire l'apologie du style, en impuissant du fond ; de se désoler du manque de rêve, de poésie et d'imagination, détruits par l'affreuse industrie de l'image ; de soutenir Sokal et Bricmont derrière un scientisme bon teint (il est d'ailleurs du meilleur effet d'avoir une formation « scientifique »), qui permet en outre de se démarquer de la vieille intelligentsia antérieure à la critique situationniste ; de papoter d'importance sur le clonage et ses conséquences sur la sexualité, mais aussi avec prudence, tant qu'il n'est pas encore certain de quel côté va se trouver la bonne pensée officielle, et par conséquent la bonne pensée officieuse ; de citer à tour de bras, comme Debord, dans une sorte de surenchère du verbatim qui doit grassouiller de sens et recouvrir de savoir ce vaste étalage d'incapacité à penser par soi-même ; de se gausser des écologistes, mais en se plaignant du trop de vitesse, du trop d'ozone, des OGM ; de pester contre la malbouffe, mais en pestant contre Bové ; de geindre sur l'absence de négativité, mais non sans se positionner de manière positive dans cette négativité ; de sympathiser, toujours par provocation, avec des actes extrémistes proposés à longueur de faits divers eux aussi soumis à la loi de la surenchère ; de s'indigner de la manière dont sont traités les monuments historiques et leurs successeurs contemporains ; de protester contre les bombardements de l'Otan.

Après ces thématiques pauvres, il faudrait ici égrener une liste encore plus longue des réhabilitations : on commence donc à réhabiliter la pensée rampante, on réhabilite les petits mensonges qui sont le signe qu'on ne craint plus l'histoire, et on réhabilite depuis la pensée religieuse la plus tarte à la philosophie la plus gourde. Dans chaque art particulier (il n'est plus question de la mort de la religion, de la philosophie et de l'art), musique, théâtre, chorégraphie, peinture, poésie, cinéma, et bien sûr littérature, on exhume du passé qui nous aurait échappé. Comme je viens de le voir dans un film sur lequel je zappais : dans la pensée musulmane, prétend un personnage qui n'a d'autorité à la pensée musulmane que par son prénom arabe, le passé est devant nous parce que le passé est ce qu'on voit, l'avenir nous encule parce que l'avenir, on ne le voit jamais. Parole de conservateur, parole de résigné, parole de bonne pensée officieuse.

L'archétype de ces réhabilitations est l'écrivain Céline. La bonne pensée officielle condamne son antisémitisme, avec des hauts cris de vieille pucelle. Céline est la mauvaise pensée par excellence. La bonne pensée officieuse réhabilite donc Céline avec des pâmoisons de vieille pucelle, parce qu'il serait exégète de la misère humaine, ce qui est le plus haut titre que peut décerner la bonne pensée officieuse.

A cela il faut répondre. Personne ne peut écrire sur la misère des autres sans la diffamer s'il survit lui-même de cet écrit. Nous serons là de stricte obédience situationniste. La profession d'écrivain est incompatible avec la critique de la misère, et par conséquent avec la critique de cette société, de son devenir, de son monde. Bien au contraire, la littérature et ceux qui y croient, c'est-à- dire ceux qui en font profession et ceux qui tolèrent et soutiennent cette profession, contribuent d'abord par là à la misère. Le préalable à la critique de la misère écrite est la critique de la misère de l'écrit. La misère chez les écrivains professionnels Céline et Houellebecq, ou chez un Voyer (traiter les pauvres d'esclaves, puis de bétail, n'est qu'une espèce de truc littéraire pour paraître radical) qui les tolère et les soutient, n'est pas leur misère, bien au contraire, c'est le déguisement duquel ils attendent ce qu'ils croient être le contraire de la misère : la reconnaissance, qui peut éventuellement prendre le goût de l'argent, ou de cette célébrité maudite dont Debord, en histrion, se plaisait à se draper.

La frontière mouvante de cette négativité d'opérette est les médias. Comme l'information dominante est la bonne pensée officielle, toute la bonne pensée officieuse « critique » l'information dominante, comme une opposition étudiante critique les gérontocrates qui ne leur permettront pas d'arriver aux affaires avant qu'ils auront oublié ce que c'est que de bander. Cette pseudo-critique varie en profondeur et en intensité selon les carrières, les appétits, les occasions, les compromissions. Les professionnels de cette frange de la culture sont bien publiés, et s'expriment à l'occasion, en collabos qui jouent les résistants, dans les médias ; et les besogneux de cette frange de la culture, qui n'ont encore accès qu'aux médias qu'ils installent eux-mêmes, ne trouvent pas honteux de construire, d'animer et de policer des forums sur l'Internet.

La bonne pensée officieuse est donc une sorte de réserve médiatique, un pas négatif d'avance, le petit doigt levé, composée de quelques stars maudites comme il se doit, et d'un maigre petit peuple, plutôt arriviste en son genre. La fonction d'un tel rassemblement informel est de faire croire que la vraie révolte est là. A qui ? Non pas à cette jeunesse dure comme du béton qui fait parfois le bélier face au mobilier urbain et aux secteurs d'activité censés le protéger, jeunesse qu'on casse en morceaux dans le monde depuis bientôt dix ans de paix sociale pour faire croire qu'elle a déjà oublié de bander ; mais c'est aux jeunes fesses gluantes devant leur Mac qu'il s'agit de montrer qu'il n'est pas nécessaire de se lever pour être dans le plus grand des extrémismes. Car, à Paris où les remous du printemps 2001 ne se sont pas encore fait sentir, ce n'est pas la jeunesse gueuse qui s'étend, c'est la jeunesse middle class qui se répand ; et elle a de nombreuses raisons d'être indécise sur le parti à choisir, sur le côté de la barricade où elle peut, éventuellement, jouer sa vérité. Il faut donc, pour la nouvelle police de la pensée qui occupe le terrain du négatif spectaculaire, non seulement tourner le dos à la véritable division de notre société, mais faire comme si la division était ailleurs, revenue dans la culture, dans la valeureuse lutte de la bonne pensée officieuse contre la méchante bonne pensée officielle.

Au moment même où, par-dessus le long interdit situationniste, les héritiers de l'IS contribuent à reconstituer (à la manière des célèbres œufs mayonnaise en tube) une intelligentsia parisienne qui réhabilite ses devancières en pactisant avec elles, nous voyons les premiers signes d'une nouvelle intelligence mondiale qui sort de l'enfance. Les nouvelles que nous recevons du futur qui est devant nous sont meilleures que celles que nous avons à donner du présent qui nous encule. Il y a longtemps que ce n'était plus le cas.

(Texte d'août 2001, diffusé sous forme de tract.)


Editions Belles Emotions