Ce n'est qu'après avoir mis au point sa capacité à utiliser l'information dominante au profit des émeutiers que la Bibliothèque des Emeutes a décidé de se faire entendre publiquement.
La mise à disposition des dossiers d'émeute a commencé alors. Le public n'a nullement compris cette démarche. Des cinq cents dossiers de la Bibliothèque des Emeutes, fort peu ont été consultés, aucun n'a été critiqué. Jamais nos conclusions sur aucun de ces événements n'ont été contestées. La méthodologie de ce catalogue a été admise sans contradiction. L'offre de désaccord et de dispute nécessaires qu'elle se proposait d'être n'a pas même été perçue.
Ce public, plus captif encore que celui qui y était critiqué, n'a su que faire de cette volonté systématique de combattre le parti de la communication. Il a entériné en bloc et en détails nos conclusions, qu'il a prises pour des informations. Et cette misère si grande de distinguer entre le subjectif présenté par nos bulletins et l'objectif qui évite de se prononcer s'étend naturellement à tous ceux qui dans un prudent silence n'en pensent pas moins. Ils sont le bastion de la servilité moderne, sous sa forme de lectorat.
L'entrée de la Bibliothèque des Emeutes dans la publicité est d'abord liée à la nécessité de soutenir l'insurrection en Irak, comme cœur scandaleusement ignoré au moment même où avait lieu un mouvement d'offensives scandaleusement ignoré contre le monde marchand, divisé en Etats, théorisé par sa presse et religieusement économique.
L'écho de notre intervention, en ce sens, a été largement absorbé par le filtre des restes du mouvement qui avait voulu être révolutionnaire, et qui croyait le prouver si un jour la révolution venait à lui. La présence de ce « petit milieu » a été immédiatement un obstacle à l'action de la Bibliothèque des Emeutes. Reconnaissant en nous certaines tonalités qu'il croyait à lui, ce milieu nous a apposé son étiquette, justement méprisée dans cette époque par l'Etat, la marchandise, l'information dominante et, dans l'autre camp, par ceux qui se révoltaient alors, particulièrement en Irak.
Le « petit milieu » est un milieu profondément conservateur. On trouve là les anarchistes, les autonomes, les communistes (antiléninistes), les postsitus. Toutes ces micromouvances, les unes dans les autres, sont d'abord les enfants des échecs des révoltes passées. Souvent vieillards précoces, ils unissent leur impuissance sincère, en s'arrangeant de leurs quotidiens de ce côté ou de l'autre de la légalité.
Ce qui les égalise est la croyance profonde que leur théorie est indépassée. Ces nostalgiques ou anciens combattants, de 68, voire de 17, tous de 71, vivent donc dans l'attente qu'un mouvement de révolte vienne enfin se hausser à leur niveau de critique. Hélas ! Partout où ils regardent dans ce monde, ils ne voient qu'imperfection ! Là, il n'y a pas assez d'ouvriers, ici, on ne critique même pas encore le spectacle, et cette émeute-là n'est-elle pas infestée d'islamistes, n'y a-t-on pas encore la sainte horreur de Dieu !
Dans le « petit milieu », on ne défend pas seulement les idées permises contre les révoltes modernes. On se flatte aussi de savoir vivre. C'est que, la critique de la misère étant faite, on n'y est plus soumis que d'une manière abstraite. Car si quelqu'un échappe à la misère, c'est forcément celui qui l'a critiquée.
La hiérarchie est celle de l'écrit. L'image même du roi d'un tel « petit milieu » est celle d'un Debord, écrivain à succès, qui a su faire croire à ce petit peuple saint qu'il était resté injustement méconnu, ou diaboliquement obscur. Les princes du sang, les ducs et pairs sont les auteurs dont les éditions « révolutionnaires » ont voulu. Toute une noblesse moins élevée publie dans un anonymat plus grand. Enfin, au-dessus de la plèbe qui ne sait que lire, on trouve encore ceux fiers d'un métier qui respecte et conserve profondément l'écrit : éditeurs révolutionnaires (qui sont un peu les Fugger de cette noblesse), correcteurs, imprimeurs et parfois même bibliothécaires ou libraires.
Les plaisirs de ce petit milieu sont donc calqués sur ceux d'une monarchie en exil : on apprécie le bon vin, la bonne musique, la lenteur des trains, les grandes amours. On se pique de savoir manger, de savoir lire, de savoir écrire bien sûr. On y discute aussi de la restauration, qui est principalement celle de 68, dont ici ou là on a bien eu l'impression d'avoir senti un frémissement. On y joue volontiers au poète et au voyou, on se pique de menus larcins, comme, dans le F3, le pavillon, l'immeuble non squatté, la propriété d'à côté, on se pique de petits résultats sportifs.
Mais, comme pour les midinettes et les ménagères, l'une des principales préoccupations des membres du « petit milieu » est le potin. Ah ! si une potinologie pouvait enfin être reconnue, combien de ces « révolutionnaires » verraient enfin leur oisiveté, qui est davantage vivre à l'économie que contre, récompensée et reconnue.
Enfin, l'enthousiasme et parfois l'humeur de la Bibliothèque des Emeutes n'ont pas manqué de faire croire que ses membres étaient très jeunes. Plusieurs frustrés du « petit milieu », recroquevillés en minuscules groupes, ou profondément isolés, à l'excellence desquels il ne manquait qu'une troupe pour exécuter leur envie de révolte, nous ont fait le singulier honneur d'espérer que nous serions celle-là. Il y a eu dans ces espoirs moins de crapulerie que de bêtise, mais toujours la même absence de rigueur dans la pensée et dans la vie, la même négligence à nous comprendre et à s'expliquer, et donc un nombre symptomatique de gens peu bandants, sauf pour eux-mêmes.
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La Naissance d’une idée Tome I : Un assaut contre la société |
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