La guerre du Golfe ne sera pas ici développée en proportion de l'effet qu'elle a produit, mais davantage en proportion de l'effet qu'elle a laissé. Car un an après avoir sombré dans la grande insurrection des pauvres d'Irak, elle semble avoir singulièrement rapetissé dans les mémoires. Certes, il paraît encore à son sujet de grands, de graves, d'étonnés précis ou commentaires, à la mesure de l'attention qu'elle avait accaparée alors, mais pour le monde, sa valeur subit les extrêmes de la courbe de popularité, en proportion de sa figure emblématique, le président des Etats-Unis : en mars 1991, le spectacle réfléchissait un président Bush populaire jusqu'à la fin des temps, un an plus tard il n'est même plus assuré de la formalité qui domine toute la politique d'un président américain lors de son premier mandat : être réélu.
La raison en est que la guerre du Golfe n'a rien changé dans le monde. Elle n'a pas déplacé une frontière. Elle n'a même pas destitué le dictateur vaincu. C'était une guerre qui n'avait pas pour objectif de changer quelque chose, mais au contraire de conserver quelque chose, d'empêcher un changement. Sa principale fonction est de détourner l'attention de la réorganisation que subissent, plutôt qu'ils ne la mènent, les gestionnaires de la planète, de gagner du temps par rapport à l'effondrement du stalinisme, bien plus embarrassant pour ces gestionnaires que pour leurs ennemis. Il est vrai que les gestionnaires actuels ont survécu et géré jusqu'à leur actuelle vieillesse dans la perspective d'un stalinisme éternel, alors que de l'autre côté de la barricade on est aujourd'hui si jeune que la plupart ne savent même pas ce que c'est, le stalinisme. Une sorte d'islamisme, de situationnisme ?
La guerre du Golfe a ralenti la chute de la datcha soviétique, bouffée par les termites et attaquée par les flammes. En dehors de six à douze mois de répit pour les dirigeants décrépits qui s'y sont adonnés, elle ne leur a pas servi. Quelques-uns, certes, ont gagné de l'argent. Quelques autres en ont perdu. CNN a pris durablement des parts d'attention à Arafat. Mais ce dernier transfert a même été, audacieuse hypothèse, atténué par la guerre du Golfe.
La seule conséquence grave, historique, de la guerre du Golfe est l'insurrection des pauvres d'Irak. Et lorsque celle-ci sera connue pour ce qu'elle a été, la guerre du Golfe ne paraîtra plus que comme l'une de ses causes, la plus directe, sa poudre aux yeux.
(Extrait du bulletin n° 4 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1992.)
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La Naissance d’une idée Tome I : Un assaut contre la société |
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