Aperçu de 1990


 

1) Réunification allemande et Golfe par rapport aux émeutes

Il n'est pas facile de trancher si les deux spectacles de l'année ont davantage généré ou empêché des émeutes. L'effet paralysant de tout spectacle, en effet, y est renforcé par celui de spectacle historique, irréversible. Le sublime fascine. La fascination effraie. L'effroi soumet. Mais l'idée de l'histoire, que les gestionnaires précédents avaient réussi à éradiquer des imaginations de leurs administrés, ressuscite celle de la faire, ouvre les imaginations, les hardiesses, les possibilités. Il serait faux, en tout cas, de penser que ces deux spectacles ont été montés dans le but principal de vaincre quelque révolte ; de même, les révoltes qui ont accompagné ces spectacles ne sont-elles pas des révoltes contre ces spectacles. Ainsi continue, dans les deux camps, la dangereuse cécité qui rendait si immobile la période précédente. Réjouissons-nous toutefois qu'au contraire de ce qui était à craindre de grands spectacles non seulement ne suppriment pas la révolte, mais permettent même à sa forme première, l'émeute, de s'étendre. 

La chute de l'Etat est-allemand, consécutive aux émeutes de 1989, a généré une débandade de l'Etat, qui a permis plusieurs émeutes en 1990, qui ont accéléré la réunification : cette réunification est d'abord une réunification policière. L'annexion de la RDA par la RFA est l'annexion d'une population qui a mis en fuite sa police par une autre police. Tout le reste, « Grundgesetz », « Deutsche Mark », élections, ne sont que les modalités du débat que permet cette nouvelle police ; mais c'est elle qui en est la conditio sine qua non. En effet, ce qu'on appelle « chute du stalinisme » est d'abord la chute d'une police. Tous les événements des Etats staliniens en 1990 se résument aux difficiles péripéties de la réforme de cette police. Il s'agit de réajuster l'interdit du débat à un monde qui n'est plus divisé en classes économiques, et la difficulté provient de ce que les pauvres confondent réajuster et supprimer. Les Etats occidentaux, en rejetant les Albanais d'Italie, avant-goût infime de l'ouverture des frontières soviétiques, commencent à le savoir dans la multiplication des émeutes. 

Le face-à-face irako-américain autour du Koweït a certainement paralysé les révoltes entre La Mecque et Ankara, Le Caire et Téhéran, assujettissant même, quoique pas complètement, l'Intifada. Mais, d'un autre côté, elle aurait provoqué une émeute à Mosul ainsi qu'une en Syrie (non confirmées) ; elle a installé la menace de l'insurrection dans tout le Maghreb, où les petits Etats tyranniques ont été obligés d'applaudir quelques débordements pro-irakiens de leurs jeunesses, se donnant ainsi un précaire et honteux sursis ; et elle a réveillé la jeunesse, beaucoup moins vigoureuse et nombreuse il est vrai, sur l'arrière des Etats occidentaux, où le pacifisme n'est pas toujours pacifique. Et maintenant que nous savons quel dénouement a eu l'affaire au début de 1991, il est évident que ce spectacle a été hautement déficitaire par rapport à la révolte. Les vainqueurs de cette guerre sont même obligés de monter des spectacles (kurdes) pour effacer la révolte (Bassora) [cf. « Irak »].


 

(Extrait du bulletin n° 2 de la Bibliothèque des Emeutes, texte de 1991.)


Editions Belles Emotions
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