| Editions Belles Emotions | |
| La Naissance d’une idée – Tome I : Un assaut contre la société |
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Dans toute l'Asie du Sud-Est, on a peine à imaginer des colères de foules tant, hors de Chine et de Corée, elles paraissent contraires aux traditions. Même s'il n'a pas atteint la dimension de l'insurrection birmane, le retour du négatif dans les rues de Taïwan montre combien, par la marchandise et l'émeute, la modernité s'universalise.
Evidemment, le spectacle de Tian'anmen a fait boire la tasse aux dirigeants de la Chine nationaliste, le Guomindang étant assez semblable dans ses méthodes de gouvernement au PCC, de l'autre côté du détroit de Formose. Lorsque les premières élections pluralistes ont donc lieu, même si elles ne sont que communales, la fraude effrontée tourne à la fronde et à l'affrontement : le 5 décembre 1989, 10 000 manifestants furieux protestent contre le scrutin à Tainan, lorsqu'ils découvrent au milieu du meeting qui occupe un parc de la ville cinq policiers jouant les journalistes-photographes. L'affrontement consécutif semble ne s'être terminé que le lendemain. Et comme les protestataires n'obtiennent pas gain de cause sur leur prétexte, le respect meurt.
Le 20 février 1990, 1 000 manifestants empêchent l'élection à la présidence du Yuan, le Parlement taïwanais, parce qu'ils protestent contre les parlementaires à vie, élus en 1947. Les affrontements avec la police font 70 blessés. Puis, le mois suivant, pendant quatre jours, du 17 au 20 mars, 6 000 étudiants manifestent contre le chef de l'Etat, Lee Teng-hui.
Enfin, le 2 mai 1990, des centaines d'étudiants et militants d'opposition campent autour de la statue de Tchang Kaï-chek, à Taipei, pour protester contre la nomination du sénile général Hau Pei-tsun comme nouveau premier ministre. La presse occidentale se réjouit timidement de ce « mini Tienanmen » parce qu'elle ne sait pas si réchauffer en parodie réduite le spectacle cuisant d'il y a un an, en Chine libérale, n'est pas plus dangereux que bénéfique pour son idéologie.
Et le 29 mai, Hau Pei-tsun est investi au Parlement (186 à 27 voix). La colère consécutive et immédiate est une émeute moderne.
Il est remarquable dans le cours de ces événements que chaque institution politique du régime, depuis les élections locales jusqu'au président, en passant par la présidence du Parlement et le choix du premier ministre, aura été critiquée dans la rue. S'il y a bien des endroits dans le monde où l'on peut sourire d'une aussi naïve remise en cause de l'appareil ennemi, il faut rappeler que c'est ainsi que commence la profonde scission d'une société. Taïwan devra désormais survivre avec la défiance profonde, affichée, et prête à déborder, de sa population.
(Texte de 1998.)
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