B) Guerres d'Etat


 

5) Guerres d'Afrique australe

Les guerres d'Afrique australe sont comme une revue des guerres d'Ethiopie, du Tchad et du Sahara. Ce sont d'abord des contre-émeutes ; c'est ensuite la déportation de cette guerre officieuse dans les campagnes, où elle devient officielle dans la multiplication des partis étatistes uniformés, qui sauvent l'Etat en le déchirant entre eux ; ce sont enfin les mises en scène les plus contrastées de l'antagonisme prétendu entre socialisme et capitalisme, justifiant l'aveu même de la dictature la plus extrême des deux côtés.

Mais quiconque pense au sud de l'Afrique, pense d'abord au racisme. Comme la religion, dans la conservation du monde, est devenue l'idéologie de rechange à l'économie, ces lieux communs de guerres d'Etat y sont devenus les trompe-l'oeil de rechange du racisme. Lorsque leurs excès font murmurer, le racisme est mis en avant ; lorsque le racisme, à son tour fatigue le spectateur, ce sont ces multiples antagonismes qui sont mis en avant. Ainsi alternent dans un rapport réciproque ces deux variantes du mensonge, attrape-nigauds dont la seule réalité sont les guerres de toute l'Afrique australe, noeuds multiples qui ne peuvent se comprendre que dans le silence qu'ils engendrent.

La patrie du racisme est l'Etat d'Afrique du Sud. Comme le gouvernement de cet Etat pratique le "développement séparé des races", l'apartheid, les Etats du monde pratiquent le développement séparé des idéologies : la méthode avec laquelle tous les Etats, et il y a unanimité, désapprouvent l'apartheid, est la méthode même de l'apartheid, la discrimination. Au lieu d'attaquer les dirigeants d'Afrique du Sud avec une énergie proportionnelle à leur désapprobation de ce qu'ils appellent un crime contre l'humanité, ce qui serait une guerre très brève et très peu sanglante, tous les Etats du monde interdisent à celui-ci les bancs publics, les mêmes pissotières qu'eux. Le racisme, dont l'apartheid est la forme moderne d'Etat, n'est pas un délire anachronique : il est un principe de la conservation. L'Afrique du Sud n'offre que le spectacle du racisme du monde, concentré sur un territoire.

Comme le racisme sert à conserver ce monde, il importe à ses conservateurs de conserver le racisme. La conservation de l'Etat sud-africain a une fonction d'hygiène idéologique comparable à un hôpital psychiatrique, ou à une grotte de lépreux jadis : parqué à l'écart des mauvaises consciences, ce rebut de la planète sert de cible aux bonnes. Longue vie à une calamité si utile ! La double rangée de guerres qui ceinture l'Afrique du Sud interdit qu'on l'attaque, tout en en simulant la tentative. Ainsi se sont constituées autour de cet Etat des marches où s'enlisent des guerres de confusion. A l'ouest, la Namibie, gouvernement blanc contre guérilla de gauche, fait face à l'Angola, gouvernement noir contre guérilla de droite, colonie portugaise récemment indépendante ; à l'est, la Rhodésie, gouvernement blanc contre guérilla de gauche, fait face au Mozambique, gouvernement noir contre guérilla de droite, colonie portugaise récemment indépendante. Ces deux blocs symétriques sont séparés par les anciens Etats dits de la "ligne de front" (contre l'Afrique du Sud) : le Botswana, qui n'est qu'un pâturage, la Zambie, dont le dictateur Kenneth Kaunda est le principal éducateur et policier des multiples guérillas de la région, et, se faisant face plus au nord, la Tanzanie, dictature de gauche de Nyerere, et le Zaïre, dictature de droite de Mobutu. Ainsi, alors que droite est généralement identifiée à raciste, blanc, oppresseur, et gauche à anti-raciste, noir et libérateur, les duels libérateurs-oppresseurs, noirs-blancs, anti-colonialistes-colonialistes, gauche-droite, peuvent se substituer sans que les informateurs aient besoin de réexpliquer qui sont les bons, qui sont les mauvais, aux duels anti-racistes-racistes, et inversement.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant