A) Du 10 janvier 1978 à fin septembre 1978


 

1) La danse du "Toro-Venado" (le taureau cervidé)

"La Dimension mythique dans la tradition orale du Nicaragua" est une obscure thèse universitaire parue en février 1978, c'est-à-dire au dernier moment possible : depuis, rien sur ce pays n'a pu être publié sans allégeance explicite au principal parti récupérateur de l'offensive qui venait d'y commencer. La danse du "Toro-Venado" qui en est extraite, n'est pas toute l'ambiance du Nicaragua alors. Mais elle en est la quintessence. Tout ce que nos ennemis ne peuvent ou ne veulent dire sur les pauvres qui se sont révoltés au Nicaragua s'y réfléchit, allègrement : l'esprit, les moeurs débridées, la joie, la danse, la fête, la satire et encore l'esprit. L'esprit y est cette abstraction simple, cette mauvaise conscience qui hante toutes les enfances et qui est la substance de presque tous les rêves de presque tous les hommes.

"Cette danse a lieu au cours des fêtes de "san Gerónimo" de Masaya, qui commencent le 30 septembre et s'achèvent le 30 octobre. Le 30 septembre se déroule la première grande procession en l'honneur de ce Saint "très miraculeux". La danse du "Toro-Venado", comprend le 1er jour très peu de personnages. Ce sont surtout des hommes déguisés en femmes ou vêtus de haillons. Ils dansent au son de la flûte indienne et d'un petit tambour ("tucún"), joués par le même musicien. Tous les dimanches du mois d'octobre on fait une procession, que la danse du "Toro-Venado" accompagne. Dans cette danse les hommes sont déguisés de façon ridicule et extravagante. On y trouve des hommes déguisés en femme enceinte, en "cegua", en "chancha bruja" (truie sorcière), en Indien.... Il y a également la "carreta nagua" (la charrette sorcière), suivie d'autres charrettes.... Enfin toutes les images populaires sont représentées pendant ces jours de fête en l'honneur de "San Gerónimo". Durant tout le mois, la nuit, ceux qui ont fait un voeu distribuent à boire et à manger aux dévots déguisés qui accompagnent le Saint. Ces fêtes quotidiennes sont appelées des "Toro-Venado".

"Les fêtes se terminent le dernier dimanche du mois d'octobre avec la présentation d'un grand "Toro-Venado". Par ce "carnaval", le peuple démystifie les institutions sociales et veut ridiculiser leurs règles. Ce jour-là, il n'y a plus de tabous, tous les interdits sont levés, et on peut tout dire et tout faire. Un homme, déguisé en femme enceinte, peut danser, boire et être touché par des hommes... Deux hommes, représentant un couple peuvent s'embrasser dans la rue... Toujours des hommes, déguisés en prostituées, peuvent se monter nus. Des hommes déguisés en religieuses, boivent, dansent, et se laissent toucher par les hommes... Ceux déguisés en jeunes filles de "bonne famille" pensionnaires du couvent, se déchaînent. Ceux déguisés en curés, se défoulent également et laissent de côté les interdits. Tout le monde peut voir à la lumière du jour les esprits de la nuit : La "carreta nagua" dont tout le monde parle et que personne n'a jamais vue, est représentée telle qu'elle est conçue par l'imagination populaire, avec des hommes attachés par de grosses chaînes dans la charrette tirée par deux boeufs. On entend dire : "... Ce sont de pauvres gens qui marchaient dans la nuit et qui ont été faits prisonniers par les mauvais esprits et qui sont ainsi transportés en enfer..." Dans la charrette il y a des hommes déguisés en diables avec de très longues machettes, "qu'ils affilent, peut-être pour tuer les pauvres hommes". On entend le bruit caractéristique de cette charrette avec ses chaînes et le bruit des instruments qu'utilisent les mauvais esprits lors de leur voyage nocturne. Il y a aussi une représentation de la caverne des mauvais esprits, telle que l'imagine le peuple. Nous voyons les "ceguas" se promener en plein jour. L'une d'elles marche enchaînée entre deux hommes déguisés en policiers... On représente aussi des scènes de la vie quotidienne : Des paysans qui travaillent dans leur champ... Des fonctionnaires du gouvernement en train de boire et manger... Des artisans, des balayeurs, des vendeurs, des marchands...

"Dans les différentes danses folkloriques, le peuple représente les événements les plus importants de son histoire : les Inditas, les Mexicanos, les Noirs... Il y a un carrosse avec un panneau où on peut lire : ".. Il n'y a pas de couleuvres poilues, ni d'aigles sans houppette, les plus prétentieuses font l'amour avec Jésus-Christ..." Et dans le carrosse, il y a un homme déguisé en Jésus-Christ "super star" avec d'autres déguisés en femme et en curés, qui boivent et fument. C'est la représentation d'une orgie des autorités de l'Eglise catholique. En effet, il existe le mythe que les curés ont des relations sexuelles avec les vieilles filles de la ville. Ces vieilles filles, appelées "les filles de la Vierge Marie", passent une bonne partie de leur journée à l'église et se chargent, entre autre, du nettoyage.

"La danse du "Toro-Venado" présente la particularité de se composer uniquement de gens pauvres qui choisissent leur déguisement. Les paysans et les artisans de Masaya veulent représenter leur société et dévoiler tous les mystères qui l'entourent, au cours d'une journée extraordinaire. Derrière les danseurs du "Toro-Venado" vient la statue de "San Gerónimo" de "el pueblo" (des gens par opposition à celle de l'église "qui est moins miraculeuse"), cette statue a les yeux dans la direction de la réalité sociale que représentent les danseurs du "Toro-Venado"."

1978 commence sur le rythme du Toro-Venado de 1977, opposé au jeune et puissant ouragan de l'esprit du monde dont les premières rafales balayent alors l'Amérique centrale. L'offensive des gueux du Nicaragua n'est rien moins que le dépassement du Toro-Venado.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman   Table des    matières   Suivant