C) Les frontières de l'Iran


 

3) Provinces et Etats frontaliers

Au sud, la frontière de l'Iran est identique à la frontière de la révolution iranienne : elle est composée, d'ouest en est, du golfe Persique, du détroit d'Ormuz et du golfe d'Oman, que de la mer. Une mer interdit encore aux pauvres des deux rives tout dialogue direct.

La frontière orientale est séparée en deux parties : au sud, elle traverse la province du Baloutchistan, dont l'ouest fait partie de l'Iran et l'est du Pakistan. Au nord, côté iranien, se trouve la province du Khorasan et à l'est de la frontière d'Etat, l'Afghanistan. L'Afghanistan est donc pris entre l'Iran à l'ouest et le Pakistan à l'est, qui se rejoignent dans le Baloutchistan au sud et l'URSS au nord.

L'URSS n'est pas que la frontière nord de l'Afghanistan, elle est aussi toute la frontière nord de l'Iran. Le tiers central de cette frontière nord la coupe en deux aussi sûrement que sa frontière sud divise l'Iran du monde, parce qu'il s'agit également d'une mer, la mer Caspienne. Au nord-est, le Turkménistan, au nord-ouest, l'Azerbaïdjan s'étendent sur les deux Etats. Chacune de ces deux régions est une République Socialiste en URSS, mais alors que l'Azerbaïdjan est une province en Iran, les Turkmènes y sont répartis entre les deux provinces du Khorasan, au nord-est, et du Mâzandarân, qui borde la Caspienne par le sud.

La frontière occidentale se divise également en trois. Le tiers nord est la frontière avec la Turquie ; de part et d'autre de cette frontière, ainsi que du tiers médian, entre l'Iran et l'Irak, commence le Kurdistan, région qui s'enfonce au nord et au sud, tout au long de la frontière turco-irakienne, jusqu'en Syrie ; le tiers méridional oppose à l'est le Khouzistan, la province arabe d'Iran, et à l'ouest, l'Irak.

Les pauvres de toutes les provinces iraniennes se sont révoltés contre le Shâh ; mais moins vite dans certaines que dans d'autres, moins vite dans les villages que dans les villes, et moins fort dans les villes qu'à Téhéran. Ces différents décalages ne parurent en tant que tels qu'après la chute du Shâh. Ces provinces, à la fois secouées par leur propre mouvement et subissant le contre-coup de celui de Téhéran, le critiquent alors, en lui empruntant son ton, ses manières et ses armes. C'est que l'autorité du nouveau gouvernement n'arrive pas dans ces zones reculées où le charisme de Khomeyni même est concurrencé par celui des notoriétés locales. Après avoir suivi le mouvement comme le prêt à porter la haute couture, ces provinces cherchent maintenant à s'en détacher, et en tant que provinces. Partout, des petits chefs autonomistes ou indépendantistes flairent la bonne soupe. Ce ne sont pas des Vendées, en ce sens que nul ne se bat pour le retour des Pahlavi. Mais ce sont des Vendées en ce sens que partout on se bat contre la nouvelle autorité centrale, arrière-garde caricaturale et brutale du puissant mouvement dont le coeur bat à Téhéran. De violents et spectaculaires débats entre petits chefs de province et petits chefs d'Etat, vont bientôt brouiller les ondes entre les pauvres de Téhéran et ceux d'Iran, jusqu'à ce que ces intermédiaires tentent de les lancer les uns contre les autres. Tous pauvres, et pauvres en jeu, leur différence est celle-ci : les premiers le savent ou le devinent déjà, les seconds, non. Les premiers ont entrevu la chute du mensonge, de l'Etat, du travail, de la baise, du peuple, de la terre et de l'immobilité du temps, et c'était le moment de l'espoir suprême ; les seconds ont entrevu la même chose, mais c'était le moment de l'angoisse suprême. Les premiers préfigurent l'humanité de demain, les seconds sont des bouseux d'antan déteints.

Dans les Etats qui encerclent l'Iran, les pauvres ne captent pas mieux ces nouveaux débats publics que dans les provinces qui encerclent Téhéran. Les valets de ces Etats y sont plus puissants quoique moins populaires, parce qu'ils ont des polices plus développées, que les valets de ces provinces. Ils divisent donc avec encore plus d'efficacité leurs propres pauvres de ceux d'Iran. Ces pauvres n'ont pas non plus la lutte contre le Shâh comme terrain d'entente. Mais ça ne leur est donc pas non plus une fin. Et l'exemple iranien y avive d'autres prétextes. Ils ont la même haine contre tout ce dont le Shâh n'est que l'image dont les contours sont ceux de leurs propres chefs d'Etat. Même dans le miroir déformant de l'information ennemie, ils reconnaissent, dans celle si voisine de Téhéran, leur propre colère contre ce monde immobile qui ne change que contre eux. Car comme Téhéran est le tremplin du monde pour les gueux d'Iran, les gueux des Etats voisins, contrairement aux pauvres de provinces à la lisière de l'histoire, ont leurs trous de serrure vers le monde. Et, comme ce monde en fait l'expérience, ce ne sont pas les apprentis serruriers qui leur manquent.


Editions Belles Emotions
Du 9 janvier 1978 au 4 novembre 1979, par Adreba Solneman Précédent   Table des    matières   Suivant